La laïcisation des toponymes en Vendée, quels exemples ? Débaptiser pour tuer la Mémoire… Tout un programme.

Un acte révolutionnaire digne du 1984 de George Orwell, oui c'est possible ! Et cela set passe chez nous, il y a 220 ans. Dans cette étude notre ami Amaury Guitard nous rapelle très justement quelques vérités. Débaptiser, supprimer les repères dans un village ou au sein d'une communauté relève d'une volonté génocidaire. Y aurait-il ici matière à réflexion sur un crime qui va au plus profond de l'être ? Cette volonté d'atteindre la substance même de la mémoire collective d'un peuple et d'une population justifie à elle seule le droit à la révolte. Voici pourquoi.


Introduction

— La Révolution Française constitue de nos jours le plus grand séisme politique et social de toute notre histoire de France. Les conséquences auxquelles elle a donné lieu sont considérables, et les bouleversements provoqués restent symptomatiques, parce que révélateurs de cette volonté archarnée de « faire table rase du passé ». Les priorités étaient alors les suivantes : déchristianiser le pays et couper tout lien (aussi menu soit-il) avec un ancien régime abhorré par les révolutionnaires, et devenu incompatible avec les nouvelles perspectives du pays en cette fin de XVIIIe Siècle.
— Pour atteindre tous ces objectifs, deux types de moyens furent alors employés : des moyens plutôt violents et coercitifs (tels que la persécution des prêtres réfractaires...) et des moyens plus ''cléments'' dirons-nous, mais non-moins significatifs.
— Très vite, les révolutionnaires comprirent que pour repartir sur de nouvelles bases, il était indispensable de s'en prendre aux symboles, aux emblèmes de ce qui faisait la France d'alors.
— Et dans ce domaine des symboles, tout y passe : le drapeau blanc, emblème du pouvoir royal, est remplacé par le drapeau tricolore le 21 Octobre 1790 ; le titre de « citoyen » est légalement substitué à celui de « monsieur » ou de « sieur »... Et j'en passe !
— Mais s'il est un aspect qui illustre particulièrement bien ce renversement de situation, c'est bel et bien celui de la toponymie : les villes et villages de France, dont les noms avaient des consonances suspectes aux oreilles des conventionnels, durent être débaptisés au profit de nouveaux toponymes, politiquement plus corrects , c'est-à-dire plus révolutionnaires. Comme partout en France, la Vendée n'a bien évidemment pas échappé à cette mesure qui pour une fois, ne fit pas couler de sang, mais beaucoup d'encre...

La laïcisation des toponymes en Vendée...

« Nommer une chose, c'est la faire exister », nous dit le philosophe, dont l'image est tant vénérée à cette époque des Lumières. Et si l'on en croit ces paroles, le processus de débaptisation-rebaptisation des toponymes revient alors à insufler un nouveau souffle à toutes ces localités, qui peuvent alors entrer de plein pied dans la nouvelle ère révolutionnaire.

Cette laïcisation des toponymes n'est jamais anodine, et répond, comme nous allons le voir à présent, sans prétendre à l'exhaustivité, à plusieurs objectifs :

— mettre fin à toute allusion aristocratique : c'est ainsi que Fontenay-le-Comte devint alors Fontenay-le-Peuple, et que La Chaize-le-Vicomte devint Haute-Chaize... Mais il fallait également s'en prendre aux propriétés trop tapageuses des nobles : tout ce qui porte le nom de “Château” est immanquablement changé : « Château d'Olonne » devient « Beau séjour » et « Château-Fromage », « Les Fromages ».

— mettre fin à toute allusion religieuse, dans tous les sens du terme. Pas un seul toponyme ayant une consonance chrétienne n'est épargné. On s'attaque aussi bien aux lieux de culte :
— « La Chapelle-Achard » qui devient « Belle-Chasse », qu'aux très nombreux saints catholiques omniprésents dans les noms de villes et villages vendéens. Pour ceux-ci, la liste est interminable. Je citerai seulement « Saint-Jean de Monts » qui devient « Grands-Monts » , « Saint-Fulgent » qui devient « Fulgent-les-Bois », « Saint-Mars des Prés »/« La Prairiale », « Saint-Gille sur Vie » / « Port-Fidèle »...

— Louer la Liberté triomphante. C'est ainsi qu'une localité comme « Mouilleron-le-Captif», qui présente un adjectif (captif) intolérable pour les purs révolutionnaires se transforme en
— « Mouilleron-le-Libre »...

— Les îles de Vendée ne sont pas plus préservées de cette laïcisation outrancière :
— L'île de Noirmoutier devient « L'île de la Montagne »
— L'île de Bouin se transforme en « Ile Marat », du nom du député montagnard à la Convention, devenu martyr de la Révolution après son assassinat en Juillet 1793 par Charlotte Corday.

Mais s'il est un cas intéressant à observer, c'est celui de l'île d'Yeu.... Ile d'Yeu, qui, contrairement à son homonymie avec «Dieu» n'a pourtant aucune consonnance religieuse puisque ce toponyme dérive de « Insula Oya », qui lui-même dérive du germanique «auwa» (prairie humide, île). Il y a donc une absence totale de toute étymologie religieuse, même lointaine... Peu importe, puisque pour la Révolution, rien que l'homonymie suffit à transformer le toponyme de cette île en « île de la Réunion »... Ce délire sémantique, purement révolutionnaire, abusif à souhait, apporte alors une petite touche d'exotisme à cette île vendéenne...

Il est à noter que seules quelques rares communes échappent à cette laïcisation (Saint-Laurent sur Sèvre par exemple) pour la simple et bonne raison que dans ces localités, l'administration révolutionnaire n'est pas parvenue à avoir des représentants afin de procéder au nouveau baptême.

Enfin, pour finir, il convient bien sûr de signaler que suite à la séance de la Convention Nationale en date du 7 Novembre 1793, le département de la Vendée s'est alors appelé « Département Vengé», non-pas en synonyme de “vengeance” mais de “purification”. A titre d'exemple, est appelé le Vengeur le bourreau qui oeuvre à la guillotine (et qui purifie donc la Nation de ses corps parasites), de même que la machine à Guillotin fut, sous la Révolution, couramment désignée comme la Vengeresse Nationale.

Conclusion

Toutes ces nouvelles dénominations restèrent jusqu'à la fin de l'année 1795. Ce fut principalement sous l'impulsion du général Hoche que toutes ces localités purent reprendre leurs toponymes d'origine, comme en témoigne cet extrait d'une lettre de ce général, envoyée au chef d'état-major Grouchy :
« Sans être dévôt, j'aime assez qu'on mette le “Saint”, lorsqu'il est écrit sur la carte. Vous sentez combien une erreur de nom pourrait être dangereuse ».
La laïcisation des toponymes en Vendée reflète donc particulièrement bien le système politique et idéologique de l'époque révolutionnaire, dont l'étude reste encore aujourd'hui très encadrée, voire quelquefois taboue...


Amaury GUITARD





Pour en savoir plus : Les noms révolutionnaires des communes de France - FIGUIERES

De Bourg-en-Bresse, chef-lieu de l'Ain devenu « Bourg-Régénéré », jusqu'aux colonies elles aussi sansculottisées en « Port-Libre » (Port-au-Prince) et autres « Port-de-la-Liberté » (Pointe-à-Pitre), voici rassemblés dans ce dictionnaire pratique les noms des communes de France sous la Révolution. Du moins toutes celles, assez nombreuses, dont les noms évoquaient ostensiblement l'héritage chrétien ou des souvenirs d'Ancien Régime. « Dieu » et « Saint », « Roi » et « Château » firent place au lexique en vogue sous la Terreur : « Égalité », « Marat », « Montagne », etc., l'un « Libre », l'autre « Régénéré ». Ces noms sont classés en deux listes, la première par départements, la seconde alphabétique générale.

Réimpression de l’édition de 1901
132 pages, 14,5 x 20,5

18 €
Mercredi 24 Octobre 2012
A.M.
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