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Grand reportage. Un nouveau rendez-vous pour les lecteurs de “Valeurs actuelles” : chaque premier jeudi du mois, Jean-Pax Méfret arpentera pour nous les routes de France. Aujourd’hui, d’Abbeville à Segré en passant par Gesté, il nous entraîne sur le chemin de croix de ces églises sacrifiées.
C’est toujours douloureux de voir des bulldozers défoncer les flancs d’une église qui s’éparpillent en gravats dans une poussière funeste ; toujours difficile d’accompagner du regard l’ultime voyage d’un autel en marbre malmené par les mâchoires d’acier d’une pelleteuse enragée ; toujours déchirant d’assister à l’effondrement d’une nef sous les coups de boutoir d’une grue à boule.
L’émotion était intense en avril dernier à Abbeville dans la Somme lors de la destruction de la majestueuse église Saint-Jacques, ancrée depuis plus d’un siècle dans le paysage architectural de la ville. Il y a dix ans qu’elle était laissée à l’abandon et se dégradait en même temps que ses reliques et son grand orgue au buffet néogothique, une véritable oeuvre d’art sauvée in extremis, en pleine démolition, par l’intervention déterminée d’un collectif.
Sous les yeux humides de petits groupes aux visages défaits, le clocher, qu’un expert requis par la municipalité disait pourtant fragile et dangereux pour la sécurité publique, a résisté plusieurs semaines aux assauts d’un engin démolisseur de 140 tonnes. « On nous a menti, marmonnait un vieil homme tenant une casquette entre ses mains calleuses. Elle était encore solide notre église ! Sa flèche nous rassurait. En la voyant de loin, on savait qu’on arrivait par chez nous. »
Aujourd’hui, Saint-Jacques n’est plus. Rasée par la volonté de la municipalité comme l’y autorise la loi de séparation des Églises et de l’État qui attribue aux communes la pleine propriété des murs et des meubles, mais aussi la responsabilité de l’entretien des églises de France construites avant 1905. Car les curés ne sont que les “affectataires à titre gratuit” de ces lieux de culte, avec « un devoir de gardiennage associé à la remise des clés […] de l’édifice ». C’est la mairie qui détient le pouvoir de prononcer une « désaffectation » des lieux si elle constate « l’absence de célébration cultuelle pendant six mois consécutifs ».
Avec la crise des vocations — près de 30 % de candidats au sacerdoce en moins sur les douze dernières années —, les édifices religieux se délabrent. Ils terminent en ruines sous l’oeil glacé de certains maires. C’est ce qui s’est passé à Abbeville où, depuis le XIIe siècle, trois églises s’étaient succédé place Saint-Jacques. L’élu socialiste Nicolas Dumont a mis fin à la tradition. Un square et un parking remplaceront désormais l’ouvrage emblématique que les bombardements de la Seconde Guerre mondiale avaient épargné. Le Collectif Saint-Jacques, qui veut perpétuer la mémoire de l’église abattue, réclame qu’on y installe l’antique cloche dérobée dans les gravats et récupérée, de justesse, à Drouot où elle avait été mise aux enchères !
Signe des temps, trente-deux ans après la fameuse affiche de la campagne présidentielle de François Mitterrand symbolisant “la force tranquille” sur fond de campagne bucolique floutée, tricolore et rehaussée d’une église, on a le sentiment qu’au nom d’une laïcité sélective, certains veulent effacer du paysage traditionnel de nos villages les quelque 15 000 clochers recensés en zone rurale. C’est une menace qui pèse à la fois sur les valeurs chrétiennes et sur le patrimoine architectural de la France. Les clochers résonnent plus souvent du glas de leur destinée que de l’angélus, annonciateur d’espoir. Et les vieilles pierres sacralisées dégringolent sous le vent dévastateur d’une Histoire qu’on a de plus en plus de mal à faire nôtre. L’église n’est pas seulement un lieu de dévotion, elle est également un rappel à la mémoire, un carrefour de rencontres, le réceptacle des douleurs profondes.
Plusieurs églises communales ont encore disparu depuis le début de l’année, 250 autres sont en danger de démolition dans les semestres à venir. Pour s’en débarrasser, la méthode est simple. Il suffit de les laisser se dégrader au mépris de la loi qui oblige les municipalités à veiller à leur entretien, d’en interdire l’accès au public puis de les détruire en invoquant une facture de rénovation trop lourde pour le budget de la ville. Les maires concernés appellent pudiquement ça des “déconstructions”. Les exemples ne manquent pas.
L’agonie de Saint-Pierre-aux-Liens dans le village de Gesté en Maine-et-Loire a duré de longs mois. Malgré l’annulation, en février 2012, du permis de démolir par le tribunal administratif de Nantes, le rejet par le Conseil d’État du pourvoi en cassation déposé par la commune et l’avis défavorable de la direction régionale des affaires culturelles, le maire, soutenu par le préfet, est passé en force dès juin 2013. En juillet, le tribunal, placé devant le fait accompli — « nef démolie, travaux largement avancés présentant un caractère irréversible » —, est finalement revenu sur sa décision de suspendre la destruction. L’église n’est plus.
Saint-Pierre-aux-Liens était un symbole. Elle avait été construite à l’emplacement de l’ancienne église incendiée par les colonnes infernales qui massacraient les catholiques pendant les guerres de Vendée. Le lieu est marqué du sang et des cendres des prêtres réfractaires, et des femmes et des enfants exterminés pour leur foi en Dieu et leur refus du culte de l’Être suprême. Un souvenir dérangeant pour les donneurs de leçons d’humanisme. Selon l’Observatoire du patrimoine religieux, c’est en Anjou qu’on trouve le plus grand nombre de “démolisseurs de sanctuaires”, « principalement dans la partie appelée les Mauges, territoire de la Vendée militaire très profondément marqué par les guerres de l’Ouest et leur sinistre, confirme Guy Massin-Le Goff, ancien professeur à l’École du Louvre, conservateur des antiquités et objets d’art de Maine-et-Loire. Nulle part, on ne trouve une telle concentration d’élus souhaitant, purement et simplement, raser l’église qui domine leur village ».
À Segré, près d’Angers, le clocher de Saint-Aubin-du-Pavoil, qui remplaçait celui rasé à la Révolution, a été réduit à 4 000 tonnes de gravats en début d’année. La nouvelle “église”, qui consterne les fidèles et surprend les curieux, est un étroit rectangle au bas plafond de zinc, flanqué d’un campanile disgracieux.
Alors, pour arrêter la frénésie de massacre du patrimoine religieux, une résistance s’organise. Des revues,la Tribune de l’art notamment, des sites, des blogs, des associations se dressent devant les maires obstinés et leur armée de bulldozers aveugles. Les demandes de classement des édifices en sursis se multiplient. Raison est parfois rendue. Alors que la commune d’Andigné commençait les travaux de destruction massive de la superbe église Sainte-Gemmes qu’elle déclarait irréparable, le préfet de Maine-et-Loire a fait suspendre les travaux. Le rapport rendu par l’inspecteur général des Monuments historiques est catégorique. « Le bâtiment est en bon état général : vaste, lumineux et très sain. […] C’est une vraie oeuvre architecturale de grande qualité, absolument complète, parfaitement homogène, qui plus est parfaitement représentative et bien documentée. Il n’y a pas le moindre doute sur l’intérêt d’art et d’Histoire de cet édifice. Il relève bel et bien et sans hésitation d’une protection, en tant que tel, au titre des Monuments historiques. »
Sainte-Gemmes est en sursis jusqu’en 2014. Ses défenseurs, athées et croyants réunis en une même ferveur dans la protection des sites, sont persuadés d’obtenir le même résultat positif que les opposants à la destruction de l’église Saint-Martin d’Arcsur-Tille en Côte-d’Or. L’obstination d’une association, une mobilisation massive des 2 500 habitants et la défaite de l’équipe municipale aux élections de 2008 ont permis de sauver ce superbe ouvrage néoclassique de 1829 que l’ancien maire, désavoué par le tribunal administratif, voulait obstinément détruire avec l’accord du préfet de l’époque. Le devis de rénovation avait été gonflé, la dangerosité du lieu exagérée. Les travaux de rénovation vont permettre à l’église Saint-Martin d’Arc-sur-Tille, abandonnée depuis 1989 et vouée à la démolition il y a cinq ans, de rouvrir ses portes dès janvier 2014. « Nous ne sommes que les dépositaires de cet édifice hérité des générations passées, souligne le président d’Une église pour Arc-sur-Tille, le tenace André Fanjaud, qui s’est opposé pendant plus de vingt ans à la démolition de l’église. Notre devoir est de le rendre pérenne pour les générations à venir. C’est aussi le devoir des municipalités. »
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