Qui se souvient du 21 janvier 1793 ? Mort de Louis XVI et chronologie d’une journée empreinte de stupeur populaire

« Maintenant que j’ai hélas ! le temps de méditer, je me demande si l’erreur initiale de la France ne remonte pas à l’exécution de Louis XVI », aurait dit Raymond Poincaré, ancien président de la République, à un visiteur dans les derniers jours de sa vie (cité dans La Revue de Paris du 15 décembre 1936). De cette « erreur initiale » du 21 janvier 1793, le journaliste et publiciste Simon Boubée nous livre le déroulement circonstancié, un siècle jour pour jour après une décapitation suscitant la stupeur d’un peuple dont on s’assura du calme en le contenant avec force soldats et gardes nationaux.


C’est dans un article du 21 janvier 1893 paru pour le centenaire de la décapitation du roi dans le quotidien Le Gaulois – journal auquel participèrent nombre de plumes telles que Zola, Barbey d’Aurevilly, Maupassant ou encore Mirbeau, et qui fusionnera en 1929 avec Le Figaro –, que Simon Boubée (1846-1901) retrace une journée du 21 janvier 1793 marquée, selon lui, par un crime dont la France ne sortira pas indemne.

Aujourd’hui 21 janvier 1793, s’est commis un des plus grands crimes de l’histoire. Le plus lâche peut-être, et le plus gratuit. Le roi Louis le seizième a été décapité par la hideuse machine du citoyen docteur Guillotin, écrit Boubée.

Il fut, avec Henri IV celui de nos Rois qui eut le plus et le mieux le sens du progrès social et le désir du bonheur de son peuple. Henri IV est mort victime de la sanguinaire extravagance d’un fanatique, Louis XVI est mort victime de la cruelle, impitoyable et d’ailleurs absurde politique d’un groupe de sophistes et d’ambitieux agitateurs.

Bien que l’ensemble de la nation n’ait point participé, autrement que par son apathie, à l’assassinat juridique qui vient de se commettre place de la Révolution, elle doit, cependant, d’après la logique providentielle, porter la peine de ce forfait plus qu’elle n’a porté celle du crime de Ravaillac.

Sans doute, en expiation du crime du 21 janvier, toléré par elle et commis par ses prétendus représentants, elle va tomber d’anarchies en dictatures, ces deux grands fléaux des peuples ingrats.

Hier au Temple

La Convention avait permis que le « condamné Capet » fît ses adieux à sa famille, dont il était séparé depuis longtemps déjà, dans son odieuse prison... À huit heures du soir, hier, le Roi sortit de son cabinet et dit aux commissaires présents près de lui de le conduire vers les siens. Les municipaux répondirent que cela ne se pouvait point, mais qu’on allait faire descendre sa famille, s’il le désirait.

– A la bonne heure, dit le Roi, mais le pourrai au moins la voir seul dans ma chambre ?
– Non, répondit un des municipaux ; le ministre de la justice a décidé que ce serait dans la salle à manger.
– Mais, objecta le Roi, le décret de la Convention me permet de voir ma famille sans témoins.
– Cela est vrai, répondit un municipal, vous serez en particulier, on fermera la porte ; mais par le vitrage nous aurons les yeux sur vous.
– C’est bien, dit le Roi ; faites descendre ma famille.

Sa Majesté entra dans la salle à manger suivi du sieur Cléry, son valet de chambre. Ce dernier rangea la table de côté et plaça des chaises dans le fond de la salle, pour que la famille royale eut un peu d’espace. « Il faudrait, dit le Roi, une carafe d’eau et quelques verres. » II y avait là une carafe d’eau glacée ; le Roi ne voulut pas la conserver, de peur que la Reine n’en bût et qu’elle en fût incommodée. Cléry apporta donc une carafe d’eau simplement fraîche.

A huit heures et demie, la porte s’ouvrit. La Reine parut la première, tenant son fils par la main ; ensuite Madame Royale et Madame Elisabeth. Tous se précipitèrent dans les bras du Roi. Un morne silence régna pendant quelques minutes, interrompu seulement par des sanglots. Cependant, le Roi s’assit, la Reine à sa gauche. Madame Elisabeth à sa droite, Madame Royale presque en face et le jeune prince debout entre ses jambes. Tous étaient penchés vers lui, le tenant souvent embrassé. Cette scène de douleur dura plus d’une heure.

A dix heures un quart, le Roi, qui avait, par de douces paroles, essayé de consoler sa famille, se leva le premier et tous le suivirent. Cléry ouvrit la porte vitrée qu’il avait fermée sur eux. Les municipaux qui avaient espionné les infortunés se découvrirent sur leur passage.

– Je vous assure, dit le Roi, que je vous verrai demain matin, à huit heures. Vous nous le promettez, demandent-ils tous ensemble.
–Je vous le promets, répondit le Roi.
– Pourquoi pas à sept heures ? demande la Reine.
– Soit, à sept heures, reprit Louis XVI. Adieu.

Les sanglots redoublèrent. Madame Royale tomba évanouie aux pieds du Roi. Cléry la releva et aida Madame Elisabeth à la soutenir. Cependant, le Roi voulant mettre fin à cette scène déchirante, leur donna à tous les plus tendres baisers et parvint à s’arracher de leurs bras... Le Roi a soupé après cette cruelle séparation. Il a mangé peu, mais avec appétit.

Les dernières heures

Hier, comme nous l’avons dit, le Roi a fait ses adieux à sa famille. Navrants adieux, dont parlera l’histoire, dont le récit fera couler bien des larmes. Hélas ! combien elle était triste, la vie de l’auguste famille, dans cette prison du Temple, dont le séjour lui avait été rendu de moins en moins supportable. L’hypocrite et violente Révolution avait tout d abord feint de traiter en Roi le royal prisonnier. On lui avait laissé une apparence de maison : ses repas, aux frais de l’Etat, étaient, sinon somptueux, du moins convenables. Mais, peu à peu, la misère était venue. Misère du linge, misère des vêtements, misère des aliments, misère des remèdes pour la maladie !...

Puis ce furent des injures, des calomnies infâmes, dont l’écho arrivait jusqu’aux infortunés prisonniers du Temple. De toutes parts avaient surgi d’inqualifiables pamphlets : les Soirées amoureuses du général Mollier, par le petit épagneul de l’Autrichienne ; le Ménage royal en déroute ; Grande entrevue, dans la tour du Temple, entre Charles, libre patriote sans moustache, avec Louis Veto, l’esclave, et sa famille. Il est des titres que nous ne pouvons reproduire ; il est des imputations portées contre l’auguste Reine auxquelles nous ne pouvons même faire une allusion discrète. Jamais la vilenie populacière n’était allée plus loin, poursuit le chroniqueur du Gaulois.

Ces tortures physiques et morales vont cesser – du moins pour le Roi. Hier, il a su qu’il devait mourir. Et se couchant, il a dit à Cléry, son valet de chambre : « Demain, mon ami, vous me réveillerez à cinq heures. » A peine Louis XVI fut-il au lit, qu’il s’endormit du sommeil le plus calme... D’après les ordres qu’il avait reçus, Cléry, qui avait passé la nuit sur un fauteuil, dans la chambre même du Roi, vint tirer les rideaux du lit – le Roi dormait toujours les rideaux fermés – et lui dit : « Sire, cinq heures sonnent à plusieurs horloges. » Le Roi demanda alors son confesseur, M. Edgworth de Firmont, prêtre non assermenté, que ses bourreaux lui ont permis de choisir pour l’assister.

– M. l’abbé est sur mon lit », répond Cléry.
– Et vous, demande le Roi, où avez-vous donc passé la nuit ?
– Ici, sur une chaise.
– Ah ! je le regrette, reprend Louis, vous devez être bien fatigué, mon pauvre Cléry.
– Hélas Sire, puis-je penser à moi en un pareil moment.

Le Roi prend la main de son valet, qui fond en larmes : puis Cléry procède à la toilette du Roi. Quelques municipaux entrent ; le Roi leur fait un léger signe de tête et dépose sur la cheminée sa bourse, sa montre, sa boîte à tabac et plusieurs autres objets. Sa toilette est achevée. Il porte un habit gris, une veste blanche, des bas de soie bleuâtre, un chapeau à tricorne d’une grande dimension, bordé d’une ganse d’argent.

M. l’abbé Edgworth entre alors et passe avec le Roi dans un cabinet attenant à la chambre à coucher. Pendant ce temps, le sieur Cléry place au milieu de la chambre une commode qu’il arrange en forme d’autel pour dire la messe. Dès deux heures du matin, on avait apporté les ornements sacerdotaux et tout ce qui est nécessaire au saint sacrifice. Tout est prêt. Le Roi et son confesseur rentrent dans la chambre à coucher, transformée en chapelle.

Le prêtre revêt les habits sacerdotaux, Cléry se dispose à servir la messe, et le Roi prend place sur un coussin au pied de l’autel. La sainte communion – le viatique, hélas ! – est donnée au royal martyr, qui la reçoit avec la plus édifiante piété. La messe unie, le Roi se retire dans son cabinet où le sieur Cléry va le rejoindre.

– Cléry, dit le Roi, je vous remercie de vos soins.
– Ah ! sire, que ne puis-je donner ma vie pour sauver la vôtre ?...
– La mort ne m’effraie pas. Vous, mon cher Cléry, ne vous exposez pas, restez ici pour veiller sur mon fils. Un jour peut-être il pourra récompenser votre zèle.

Cléry tombe aux pieds du Roi. Ses sanglots l’empêchent de parler. « Adieu, lui dit le Roi, adieu mon cher Cléry, veillez sur mon fils !... »

A sept heures, le Roi sort de son cabinet et remet à Cléry quelques bijoux pour les membres de sa famille. Puis il demande des ciseaux pour que Cléry lui coupe les cheveux ; on lui refuse cette faveur. Cependant un des municipaux vient dire à Cléry : « Citoyen valet, disposez-vous pour aider votre maître à le déshabiller sur l’échafaud. » Le sieur Cléry devient d’une pâleur mortelle et est près de s’évanouir. « Du courage, Cléry, dit le Roi, je suis aise de vous avoir près de moi jusqu’au dernier moment. »

Cléry s’incline... Un autre municipal vient apporter un contre-ordre. « Le citoyen Cléry restera ici, dit-il ; le bourreau est assez bon pour Capet. » Neuf heures sonnent. La sinistre prison retentit sous des pas nombreux. Des voix se font entendre. Le bruit va toujours croissant. Santerre, accompagné de sept à huit municipaux, entre à la tête de dix gendarmes et les range sur deux lignes. A ce moment, le Roi sort de son cabinet, où il s’était recueilli quelques instants.

– Vous venez me chercher ? dit-il à Santerre.
– Oui.
– Je vous demande une minute.

De nouveau, le Roi rentre dans son cabinet. Il en sort au bout de quelques secondes, suivi de son confesseur. Le Roi tient à la main son testament, et, s’adressant à un municipal, nommé Jacques Roux, prêtre jureur, il lui dit :

– Je vous prie, monsieur, de remettre ce papier à la Reine, ma femme.
– Cela ne me regarde pas, répond brutalement Jacques Roux. Je suis ici pour vous conduire à l’échafaud.

Le Roi s’adresse alors à un autre municipal, le citoyen Gobeau : « Monsieur, dit-il, remettez, s’il vous plaît, ce papier à ma femme. Vous pouvez en prendre lecture ; il y a des dispositions que je désire que la Commune connaisse. » Cléry présente alors au Roi sa redingote. « Je n’en ai pas besoin, dit le Roi, je ne sens pas trop le froid aujourd’hui. » Et il ajoute, en souriant : « Ce n’est pas comme le jour de la mort de Charles Ier. »

On sait, en effet, que Charles Ier, dans la même circonstance, avait dit à son valet de chambre : « Mon cher Herbert, il me faut une chemise de plus que de coutume. La saison est froide, et je pourrais trembler. Quelques spectateurs l’attribueraient peut-être à la peur, et je ne veux pas qu’un tel reproche m’atteigne. Je suis préparé à la mort, et j’en bénis Dieu ! »

La main de Louis XVI rencontre celle de Cléry, qu’il sert pour la dernière fois.

– Messieurs, dit alors le Roi aux municipaux, je désirerais que Cléry restât près de mon fils, qui est accoutumé à ses soins. J’espère que la Commune accueillera cette demande.
– Partons, dit Santerre.
– Soit, partons, répond le Roi.
A l’entrée de l’escalier, le Roi rencontre Mathey, le concierge de la Tour. L’avant-veille, ce drôle était resté couvert devant le Roi, Louis XVI lui avait donné une leçon de politesse, d’ailleurs fort modérée. A sa vue, le Roi s’arrête. Ses yeux expriment une extrême bonté. « Monsieur, dit le Roi, j’ai eu, avant-hier, un peu de vivacité avec vous ; je vous prie de ne m’en pas vouloir et je vous en demande pardon. » Le croira-t-on ? Ce rustre reste insensible devant ce sublime exemple d’humilité chrétienne. Il feint de n’avoir rien entendu et tourne le dos au royal martyr.

Sur le passage du roi. Tentative de délivrance. La voie douloureuse.

Le Roi est monté dans la voiture du maire de Paris, entre le citoyen maire lui-même, l’abbé Edgeworth de Firmont et deux gendarmes. Le citoyen maire a gardé son chapeau. « Vous aviez oublié votre chapeau, la dernière fois que je vous vis au Temple, monsieur, lui dit le Roi ; vous avez été plus soigneux aujourd’hui. » Le citoyen ne répond pas. Il n’a peut-être pas compris.

Le Roi, parfaitement calme, presque souriant, regarde par les portières du carrosse municipal. Du Temple à la place de la Révolution, la voie publique est gardée par une haie de soldats ou de gardes nationaux. Ces derniers, coiffés d’un bonnet rouge et armés de piques. Quelques cris hostiles au Roi se font entendre. Louis XVI ne paraît pas ému et demande quelques renseignements sur les précautions militaires qui ont été prises.

Tous les établissements nationaux sont gardés par des détachements. Il y a des pièces de canon braquées sur toutes les places publiques et des corps de réserve nombreux dans chaque quartier. Douze cents citoyens bien armés, ayant chacun vingt-cinq cartouches, forment la garde qui, sous le commandement de Santerre, précède et suit la voiture du Roi. L’escorte se compose aussi de gendarmes à cheval.

On arrive boulevard Bonne-Nouvelle, un grand mouvement se produit dans la foule. Les cavaliers font cabrer leurs chevaux, les fantassins croisent la baïonnette. Un jeune homme s’est détaché de la foule, a fendu la haie d’hommes armé de piques. II tient d’une main une épée et de l’autre un pistolet. « Mes amis, dit-il, sauvons le Roi !... » Quelques jeunes gens le suivent, mais ils sont immédiatement saisis... plusieurs d’entre eux tombent frappés de coups de sabre.

Tout cela n’a, d’ailleurs, duré que quelques secondes. Le Roi ne s’est pas bien rendu compte, lui-même, de ce qui se passait. A partir de ce moment, la voiture accentue sa marche. Le Roi s’entretient sans cesse avec son confesseur. Dix heures sonnent... La voiture entre sur la place de la Révolution...

Le baron Jean de Batz

Nous avons parlé, tout à l’heure, écrit encore Simon Boubée, d’une tentative de délivrance du Roi, qui a eu lieu à la hauteur du boulevard Bonne-Nouvelle. L’auteur de cette tentative est M. le baron Jean de Batz, une des personnalités les plus originales et les plus sympathiques de ce temps-ci. Arrière-petit-fils de Manaud III, baron de Batz, compagnon d’armes et ami intime d’Henri IV, Jean de Batz est né à Goutz-les-Tartas, en 1760 [l’année avancée aujourd’hui est 1754].

Député de la noblesse aux Etats généraux de 1789, il siégea au côté droit, et montra de grandes connaissances en matière de finances. En vrai Gascon, il joint beaucoup d’habileté au plus indomptable courage, et il vient de faire preuve de l’un et de l’autre, depuis la captivité de l’auguste famille royale au Temple. Son but a été immédiatement de la sauver des mains de ses persécuteurs. A peine le procès du Roi avait-il été entamé qu’il a organisé une conjuration pour le sauver.

Les conjurés devaient enlever le royal martyr dans le trajet du Temple à la place de l’exécution. Malheureusement, le baron de Batz n’avait pu réunir un assez grand nombre d’hommes sûrs et aussi résolus que lui. Son noble projet eut réussi évidemment si la plupart des conjurés n’eussent manqué au rendez-vous. Jean de Batz est évidemment de ces hommes qui sont en avance sur leur temps.

Très différent des autres fidèles royalistes, poursuit Boubée, il a un esprit essentiellement pratique. Soyez convaincu que s’il n’a pu sauver le Roi, il fera son possible pour faire évader la Reine, Madame la Dauphine et Madame Elisabeth. Très habile manieur d’argent, et très au courant des caractères et des besoins des hommes qui sont au pouvoir, il emploiera, s’il le faut, le « nerf de l’intrigue ».

Nous savons qu’il s’est déjà mis en rapport avec des membres influents de la Convention, tels que Delaunay d’Angers, Julien, Chabot, Danton et autres hommes politiques moins insensibles à l’attrait de l’or qu’ils ne voudraient le paraître. Le baron de Batz arrivera-t-il à ses fins, et sera-t-il plus heureux plus tard qu’il ne le fut ce matin ? Oui, si Dieu le permet, estime-t-on alors.

La place de la Révolution dans la matinée

Par crainte de quelque coup de main royaliste, de grandes précautions ont été prises. Des les premières heures de la matinée, Paris est en armes. De nombreuses troupes sont groupées, place de la Révolution, autour de l’instrument de mort, dressé dans la nuit. Voici les gardes nationaux, habit bleu à étroits revers blancs. Les artilleurs, commandés par Santerre, habit bleu à revers et parements rouges. Les chasseurs, habit vert à revers et parements jaunes. On remarque le fameux bataillon des Marseillais, à droite, en venant des boulevards ; il a ses canons braqués sur l’échafaud.

La nuit qui a précédé l’exécution fut absolument calme. Ce n’est qu’au matin que la foule se masse derrière les troupes. A huit heures, arrivent Sanson l’aîné, exécuteur des hautes œuvres, et ses deux frères, Charlemagne Sanson et Martin Sanson. Ils sont assistés des aides Gros et Baris, qui ont dressé l’échafaud pendant la nuit. On remarque, dans la foule, l’air grave et en même temps ému des exécuteurs. Quelques-uns savent que la veille même, Sanson avait célébré en famille ses noces d’argent. Etrange contraste. « Hier du vin, aujourd’hui du sang », dit quelqu’un.

L’exécution

Dix heures viennent de sonner. La berline s’arrête devant la sinistre machine. La portière s’ouvre deux gendarmes descendent les premiers, puis le vénérable prêtre vêtu du costume proscrit. Le Roi descend à son tour. Quelques-uns font observer, avec une liberté de langage vraiment extraordinaire, qu’il est plus calme et plus majestueux qu’il ne s’est jamais montré aux Tuileries.

Nul cri ne se fait entendre. Bien que beaucoup d’énergumènes jacobins se trouvent sur la place, le plus profond silence règne aux alentours de l’échafaud. Le peuple, relégué derrière la soldatesque, semble frappé de stupeur. La stupeur !... voilà, semble-t-il, la caractéristique du spectacle de cet assassinat politique ! Les tambours ne cessent de battre. C’était convenu. C’est par ce procédé que l’on voulait étouffer les cris de la foule mais, nous le répétons, les échos restent muets.

Les frères Sanson semblent consternés et ne cherchent nullement à dissimuler leur pénible impression. Le Roi est arrivé au pied de l’échafaud. Son pas est ferme. Martin Sanson, plus jeune et moins troublé que les autres, s’avance et, se découvrant respectueusement, dit au Roi :

– Sire (et non Monsieur, comme d’aucuns le prétendent), il serait nécessaire que l’on vous ôtât votre habit.
– C’est inutile, répond le Roi, un peu brusquement peut-être, on peut fort bien en finir comme je suis.

Martin Sanson insiste. « C’est absolument nécessaire, dit-il, de plus en plus respectueux, il est même indispensable que l’on attache les mains du condamné. » Le Roi, pâle tout à l’heure, devient immédiatement d’un rouge ardent : « Vous n’oserez pas porter la main sur moi, dit-il. Tenez, voici mon habit, mais ne me touchez pas. » En disant cela, il ôte lui-même son habit. Sanson l’aîné se penche à l’oreille de l’abbé Edgeworth : « Monsieur l’abbé, dit-il, obtenez du Roi qu’on lui attache les mains. Pendant qu’on procédera à cette formalité, d’ailleurs nécessaire, nous gagnerons du temps, et il est impossible qu’un pareil spectacle ne finisse pas par émouvoir les entrailles de ce peuple. »

L’abbé regarde l’exécuteur avec un navrant sourire, puis se tournant vers le Roi : « Sire, dit-il, résignez-vous à un dernier sacrifice, par lequel vous ressemblerez davantage au Dieu, qui va vous en récompenser. » Le Roi se calme subitement. Son visage redevient pâle, ses yeux perdent leur expression fière et un peu dure. Il baise l’image du Christ que son confesseur lui présente et tend lui-même ses bras aux bourreaux. Deux aides lient ces mains qui avaient porté le sceptre.

Les frères Sanson paraissent plus émus que jamais. Ils sont plus pâles que la royale victime. Quelques-uns murmurent, dans la foule, qu’ils sont royalistes au fond du cœur, et que si une tentative pour sauver le Roi se produisait, loin de s’y opposer, ils y prendraient part. Les roulements des tambours ne cessent pas. Le Roi, soutenu par son confesseur, gravit lentement et majestueusement les degrés de l’échafaud. « Est-ce que ces tambours ne vont pas cesser ? » demande-t-il à Charlemagne Sanson. Charlemagne fait signe qu’il n’en sait rien.

Arrivé sur la plate-forme, le Roi s’avance du côté où il paraît y avoir le plus de peuple et fait de la tête un signe impératif aux tambours. Louis XVI a, en ce moment, un air si royal que les suppôts de la Révolution subissent son prestige. Les tambours, subjugués, cessent leur roulement sans attendre le signal des chefs militaires. Le Roi dit alors d’âne voix forte et sonore : « Français, vous voyez votre Roi prêt à mourir pour vous. Puisse mon sang cimenter votre bonheur. Je meurs innocent de tout ce dont on m’accuse ! »

Le Roi veut encore parler ; mais Santerre fait un signe aux tambours, qui reprennent leur tumultueux roulement. Les assassins du Roi craignent décidément que le peuple, indigné, ne proteste contre le crime qu’ils vont commettre, poursuit Simon Boubée. Mais c’est toujours le silence. La stupeur règne de plus en plus. Le Roi se livre alors aux exécuteurs. Il est attaché sur la planche.

Sa tête tombe, tandis que l’abbé Edgeworth fait entendre ces sublimes paroles qui, sans doute, traverseront les âges : « Fils de saint Louis, montez au Ciel ! » La tête du Roi est montrée au peuple par l’aide Gros. Les yeux sont clos – circonstance extraordinaire – et le royal visage, blanc comme de la cire, a maintenant une expression quasi divine. Quelques forcenés – très peu nombreux – poussent des cris de triomphe, mais le plus fort des spectateurs se détourne avec une profonde horreur et un douloureux frémissement. Il est, hélas ! évident que le moindre signal eût suffi à amener une réaction en faveur du royal martyr.

(...)


A la Convention

Aujourd’hui 21 janvier, le citoyen Vergniaud préside. La Convention ne s’occupe d’abord que du meurtre de Lepeletier Saint-Fargeau, poignardé, l’avant-veille, par l’ex-garde du corps Paris. Le conseil exécutif adresse à la Convention nationale le procès-verbal de l’exécution du Roi.

« LAMARQUE. Lorsque le tyran n’est plus, ses crimes sont expiés. Faisons la guerre à la tyrannie et oublions les tyrans. (Marques d’approbation.) » L’assemblée passe à l’ordre du jour.

Les journaux
Les journaux de Paris parlent tous de la « mort du Tyran ».

Le Père Duchesne. « Capet est enfin mort f... Je ne dirai pas comme certains badauds : n’en parlons plus. Parlons-en, au contraire, pour nous rappeler tous ses crimes et inspirer à tous les hommes l’horreur qu’ils doivent avoir pour les rois. »

La Gazette de France. « Le tyran n’est plus. Un exemple redoutable a été donné aux despotes du monde. La hache de la justice a frappé celui qui était déjà condamné dans la conscience du peuple français. Ce jugement mémorable ne pose de responsabilité que sur la nation elle-même. Elle s’en charge !... La nation connaît ses ennemis ; ce sont les rois, et s’ils prétendent demander compte à la république du jugement qui, par la mort d’un roi, réhabilite l’espèce humaine, chaque citoyen français se présentera, portant en lui le besoin de sa faire responsable. »

Paris dans la soirée

Après avoir lu les navrants détails de l’agonie et de la mort du Roi-Martyr, écrit notre journaliste, nos fils s’imagineront sans doute que pendant tout le cours de cette journée, que le lendemain même, Paris dut offrir l’aspect le plus agité... ou le plus morne. Il n’en est rien. A partir de midi, les rues reprennent peu a peu leur aspect habituel, et l’étranger qui est débarqué à Paris, dans la soirée, ne croirait jamais que cette grande capitale vient d’être le théâtre d’une des plus sinistres tragédies dont l’histoire des peuples ait fait mention.

Il y a des tempêtes de fureur et des abîmes de douleur dans le cœur des royalistes, mais c’est seulement chez eux ou chez leurs amis, à l’abri du foyer, qu’ils se livrent à leurs réflexions indignées ou désolées. Les rues, les places publiques, ont leur aspect habituel. Bien que la Convention ait fait fermer la plupart des maisons de jeu, bien que « l’autorité jacobine » mette quelque frein au débordement de la galanterie vénale, le Palais-Royal est plus animé, plus bruyant, plus grouillant que jamais.

Les cafés et les restaurants regorgent de monde. Sans-culottes, vêtus de carmagnoles et coiffés de bonnets rouges ou de bonnets à poil, muscadins en habit de soie, secouant leurs « oreilles de chien » et faisant tournoyer leurs cannes tordues, courtisanes décolletées au-delà de toute espérance, paisibles bourgeois, bourgeoises honnêtes, agioteurs au regard louche, se pressent dans les établissements, se heurtent devant les boutiques de joailliers, vont et viennent dans le jardin.

Le foyer du théâtre de la Montansier, ci-devant théâtre du Petit-Beaujolais, est particulièrement animé et l’on y parle très peu politique, bien que parmi ceux qui le hantent il y ait un grand nombre de royalistes avérés. Voici, entre autres, un tout jeune homme, trapu, grêlé, aux lèvres doubles, mais dont l’œil pétille d’esprit et de courage. C’est Alphonse Martainville, déjà condamné, à l’âge de seize ans, pour avoir osé taquiner le lion jacobin. Voici le journaliste Ange Pitou, un petit homme au nez démesuré, mais presque joli garçon malgré cela. On dit qu’aujourd’hui même, avant d’aller au spectacle, il a trouvé le moyen d’avoir un entretien avec le citoyen Sanson. Où s’arrêtera la curiosité des gazetiers ? Cette belle fille aux cheveux flamboyants, c’est Cydalise, une des plus célèbres sirènes de ces galants parages. Elle aussi est royaliste et amie très intime du jeune Martainville.

Ce dernier l’accoste en riant et, lui montrant un gros sans-culotte dont la tenue est négligée jusqu’à l’indécence, il murmure :
Renfoncez donc vot’ culotte,
Ce bout d’chemise qui vous pend
Qu’on n’ dise pas qu’un patriote
Arbore le drapeau blanc.

Dans la salle il y a foule. On joue une des pièces les plus gaies du répertoire, le Sourd ou l’Auberge pleine, du citoyen Desforges. Ce diable de débauché a vendu son manuscrit quatre cents francs à la citoyenne Montansier... qui, dit-on, a déjà gagné, avec cette pièce, quelque chose comme deux cent mille francs. Même affluence dans les autres théâtres. Chose digne de remarque, aucun théâtre de Paris ne joue, ce soir-là, un de ces à-propos patriotiques, si fort à la mode par ce temps de jacobinisme.

Et Simon Boubée de conclure : Le Roi est mort, vive le Roi ! Vive Louis XVII, qui gémit dans les fers ! Et si Louis XVII meurt à son tour, un autre « Capet » lui succédera, car la Maison capétienne, qui est bien française, puisqu’elle a fait la France, puisqu’elle a constitué notre unité nationale par ses héritages et ses conquêtes, vivra autant que notre pays vivra et, quoi qu’il arrive, sera toujours là pour le sauver de ses ennemis... et de lui-même.

Source


Mardi 22 Janvier 2013
A.M.
Lu 923 fois