« Je n'épargnai personne dans la Vendée, ajouta-t-il, cela m'était commandé. »
photo d'une peau humaine tannée, lors de l'exposition intitulée "Our Body", et qui s'est tenu à Lyon il y a quelques années de cela... Reproduction interdite. Cliché Amaury Guitard.
SOUVENIRS DE LA COMTESSE DE LA BOUËRE ♣ EXTRAIT
EXTRAIT
SOUVENIRS DE LA COMTESSE DE LA BOUËRE,
LA GUERRE DE VENDÉE 1793-1796
En passant à la Flèche, au mois de mai 1829, au lieu d'entrer dans la maison où s'arrêtent les diligences, je continuai de marcher dans la direction de la route qui conduit à Angers, désirant avoir quelques renseignements sur l'affaire qui se passa à la Flèche, lorsque les Vendéens, repoussés d'Angers, se dirigeaient sur le Mans.
Je cherchais des yeux si je ne verrais pas quelques vieilles figures qui auraient pu être témoins des évènements de ces temps malheureux, lorsqu'à ma gauche j'aperçus un homme d'environ soixante-sept à soixante-dix ans d'une haute stature, encore fort droit et robuste, ayant quelque chose de militaire ; j'eus l'idée qu'il pourrait être un témoin de cette époque.
Je m'arrête devant lui :
"Monsieur, lui dis-je, dites-mois, je vous prie, si par hasard vous étiez dans cette ville quand les Vendéens s'en emparèrent, en 1793 ? J'aime à écouter ce qui s'est passé alors.
- Vous ne pouviez mieux vous ¤ adresser, madame ; j'ai servi, et assisté à beaucoup de combats de ce temps-là. Je servais les généraux Kléber, Beysser, Canclaux, Duquesnoy, Turreau, Cordellier, etc."
Je lui fis quelques questions auxquelles il répondit à peu près ce que je vous rapporter.
... Il était à Clisson ... Sur la question des brigands entassés dans le puits de Clisson, il me l'affirma, ajoutant que toutes les personnes trouvées dans les bâtiments avaient été sabrées et jetées dans ce puits.
"J'en ai sabré pour ma part au moins deux cents, dit-il ; j'étais encouragé par Carrier, qui assistait à cette exécution, et qui excitait les soldats à n'épargner personne.
Cet homme féroce, dont je n'ai pu retenir les expressions horribles, racontait cette scène de carnage avec une satisfaction infernale ; il ajouta "qu'après avoir précipité ces brigands dans ce puits, lui et ses camarades avaient jeté dessus des bourrées, des fagots et des planches, afin que ceux qui n'étaient pas encore tout à fait morts ne puissent s'échapper. On entendait, disait-il, des cris et des gémissements sourds et étouffés."
Selon lui, ces infortunés étaient au nombre de plus de trois cents !
Je frémissais de me trouver en face d'un de ces monstres, que l'on aurait pas rencontré sans courir le danger de périr de ses mains. Cependant, l'idée de pouvoir regarder sans péril un soldat de l'armée infernale me semblait bizarre, et j'étais comme quelqu'un qui a évité de tomber dans un précipice et qui en mesure la profondeur ... Malgré l'effroi involontaire que me causaient ses paroles, je me raidissais contre cette impression, par la singularité de me trouver près d'un homme si redoutable sans que j'eusse rien à craindre ; tels ces enfants timides qui se plaisent à regarder des tigres et des hyènes, parce qu'ils en sont séparés par une grille.
Je voulus pousser plus loin, afin de lire davantage dans l'âme de ce cannibale, puisqu'il se faisait un plaisir d'en dérouler le tableau, et se complaisait avec un sang-froid féroce à rapporter tous les détails de ses affreux forfaits. Je lui renouvelai mes questions, et j'eus bientôt la certitude que cet ennemi désarmé était encore prêt à saisir son poignard et sa baïonnette, s'il le pouvait faire avec impunité, ce qui explique comment il parlait de ce passé sans remords.
"Je n'épargnai personne dans la Vendée, ajouta-t-il, cela m'était commandé".
EXTRAIT
SOUVENIRS DE LA COMTESSE DE LA BOUËRE,
LA GUERRE DE VENDÉE 1793-1796
En passant à la Flèche, au mois de mai 1829, au lieu d'entrer dans la maison où s'arrêtent les diligences, je continuai de marcher dans la direction de la route qui conduit à Angers, désirant avoir quelques renseignements sur l'affaire qui se passa à la Flèche, lorsque les Vendéens, repoussés d'Angers, se dirigeaient sur le Mans.
Je cherchais des yeux si je ne verrais pas quelques vieilles figures qui auraient pu être témoins des évènements de ces temps malheureux, lorsqu'à ma gauche j'aperçus un homme d'environ soixante-sept à soixante-dix ans d'une haute stature, encore fort droit et robuste, ayant quelque chose de militaire ; j'eus l'idée qu'il pourrait être un témoin de cette époque.
Je m'arrête devant lui :
"Monsieur, lui dis-je, dites-mois, je vous prie, si par hasard vous étiez dans cette ville quand les Vendéens s'en emparèrent, en 1793 ? J'aime à écouter ce qui s'est passé alors.
- Vous ne pouviez mieux vous ¤ adresser, madame ; j'ai servi, et assisté à beaucoup de combats de ce temps-là. Je servais les généraux Kléber, Beysser, Canclaux, Duquesnoy, Turreau, Cordellier, etc."
Je lui fis quelques questions auxquelles il répondit à peu près ce que je vous rapporter.
... Il était à Clisson ... Sur la question des brigands entassés dans le puits de Clisson, il me l'affirma, ajoutant que toutes les personnes trouvées dans les bâtiments avaient été sabrées et jetées dans ce puits.
"J'en ai sabré pour ma part au moins deux cents, dit-il ; j'étais encouragé par Carrier, qui assistait à cette exécution, et qui excitait les soldats à n'épargner personne.
Cet homme féroce, dont je n'ai pu retenir les expressions horribles, racontait cette scène de carnage avec une satisfaction infernale ; il ajouta "qu'après avoir précipité ces brigands dans ce puits, lui et ses camarades avaient jeté dessus des bourrées, des fagots et des planches, afin que ceux qui n'étaient pas encore tout à fait morts ne puissent s'échapper. On entendait, disait-il, des cris et des gémissements sourds et étouffés."
Selon lui, ces infortunés étaient au nombre de plus de trois cents !
Je frémissais de me trouver en face d'un de ces monstres, que l'on aurait pas rencontré sans courir le danger de périr de ses mains. Cependant, l'idée de pouvoir regarder sans péril un soldat de l'armée infernale me semblait bizarre, et j'étais comme quelqu'un qui a évité de tomber dans un précipice et qui en mesure la profondeur ... Malgré l'effroi involontaire que me causaient ses paroles, je me raidissais contre cette impression, par la singularité de me trouver près d'un homme si redoutable sans que j'eusse rien à craindre ; tels ces enfants timides qui se plaisent à regarder des tigres et des hyènes, parce qu'ils en sont séparés par une grille.
Je voulus pousser plus loin, afin de lire davantage dans l'âme de ce cannibale, puisqu'il se faisait un plaisir d'en dérouler le tableau, et se complaisait avec un sang-froid féroce à rapporter tous les détails de ses affreux forfaits. Je lui renouvelai mes questions, et j'eus bientôt la certitude que cet ennemi désarmé était encore prêt à saisir son poignard et sa baïonnette, s'il le pouvait faire avec impunité, ce qui explique comment il parlait de ce passé sans remords.
"Je n'épargnai personne dans la Vendée, ajouta-t-il, cela m'était commandé".
« Cela m'était égal ; je recommencerais encore si cela revenait »
Sur la demande qu'il devait éprouver un sentiment pénible et de pitié pour ceux qu'il rencontrait :
"Cela m'était égal ; je recommencerais encore si cela revenait : il nous était défendu d'user de la poudre. Aussi, nous ne nous donnions pas la peine de les fusiller. Ah ! je bûchais bien ! Aussi, on m'appelait le boucher de la Vendée. C'est pour cela qu'on avait voulu me nommer bourreau ; mais les préparatifs de la guillotine ne me convenaient pas ; c'est trop long et trop ennuyeux. C'est surtout pour les femmes et les enfants que je travaillais bien, quand nous les trouvions dans les maisons, ou cachés ! Quant aux petits enfants, nous les portions au bout de nos baïonnettes, en criant : Vive la République ! ...
Il a ajouté que la scène du puits de Clisson s'est encore renouvelée dans celui de Montaigu, le 30 mars, et qu'on y avait enfoui cinq cents personnes ... Ce monstre à figure humaine me donnait froidement tous ces détails et d'autres que je n'ai pas retenus. J'en frémis encore en me les rappelant ; et si, aussitôt que je me suis retrouvée dans la diligence, je n'en avais tenu des notes, je ne me serais pas crue moi-même ...
Il faut pourtant que je termine cette tâche pénible. Il serait à désirer que ces tableaux effroyables servissent d'exemple pour exécrer un parti capable de produire des êtres si coupables !
A mesure que ce méchant homme voyait le sentiment d'horreur qu'il me faisait éprouver, il semblait renchérir pour l'augmenter, en me racontant de nouvelles prouesses de son génie diabolique. Il se vanta "d'avoir écorché des brigands pour en faire tanner la peau à Nantes ..."
Pendant ce colloque, un homme de moyenne taille, d'environ trente ans, qui avait l'air d'un ouvrier maçon ou de quelque autre métier, s'approcha de nous pour l'écouter, comme étant de sa connaissance. Le vieux soldats l'interpella ; après avoir dit qu'il avait apporté et vendu douze de ces pantalons en peau humaine à la Flèche, pour lui nommer deux individus de sa connaissance qui en avaient acheté : l'un était mort, et l'autre encore vivant s'en était vêtu le jour de Pâques.
"Cela m'était égal ; je recommencerais encore si cela revenait : il nous était défendu d'user de la poudre. Aussi, nous ne nous donnions pas la peine de les fusiller. Ah ! je bûchais bien ! Aussi, on m'appelait le boucher de la Vendée. C'est pour cela qu'on avait voulu me nommer bourreau ; mais les préparatifs de la guillotine ne me convenaient pas ; c'est trop long et trop ennuyeux. C'est surtout pour les femmes et les enfants que je travaillais bien, quand nous les trouvions dans les maisons, ou cachés ! Quant aux petits enfants, nous les portions au bout de nos baïonnettes, en criant : Vive la République ! ...
Il a ajouté que la scène du puits de Clisson s'est encore renouvelée dans celui de Montaigu, le 30 mars, et qu'on y avait enfoui cinq cents personnes ... Ce monstre à figure humaine me donnait froidement tous ces détails et d'autres que je n'ai pas retenus. J'en frémis encore en me les rappelant ; et si, aussitôt que je me suis retrouvée dans la diligence, je n'en avais tenu des notes, je ne me serais pas crue moi-même ...
Il faut pourtant que je termine cette tâche pénible. Il serait à désirer que ces tableaux effroyables servissent d'exemple pour exécrer un parti capable de produire des êtres si coupables !
A mesure que ce méchant homme voyait le sentiment d'horreur qu'il me faisait éprouver, il semblait renchérir pour l'augmenter, en me racontant de nouvelles prouesses de son génie diabolique. Il se vanta "d'avoir écorché des brigands pour en faire tanner la peau à Nantes ..."
Pendant ce colloque, un homme de moyenne taille, d'environ trente ans, qui avait l'air d'un ouvrier maçon ou de quelque autre métier, s'approcha de nous pour l'écouter, comme étant de sa connaissance. Le vieux soldats l'interpella ; après avoir dit qu'il avait apporté et vendu douze de ces pantalons en peau humaine à la Flèche, pour lui nommer deux individus de sa connaissance qui en avaient acheté : l'un était mort, et l'autre encore vivant s'en était vêtu le jour de Pâques.
« nous avions mis des barres de fer dessus, et puis les femmes dessus ..., puis au-dessus encore était le feu. »
Au musée de Nantes : 200 ans plus tard…
Comment m'écriai-je, ce jour-là précisément ? Oh ! mon Dieu ! A-t-il été à l'église avec cet abominable vêtement ? ...
- Oh ! me répondit cet homme odieux, d'un air ironique, est-ce que nous allons à l'église, nous ? Nous n'entendons jamais la messe."
J'éprouvai une sorte de soulagement ; c'était une profanation de moins.
"Malheureux ! lui dis-je, vous n'éprouvez donc pas de regrets, de remords ? Après avoir sacrifié tant de victimes ..., elles ne se dressent pas devant vous dans votre sommeil, dans vos songes ? ... Vous devez pourtant ressentir des regrets de tant de sang répandu, de tant de crimes. Il me semble que, lorsque vous êtes seul, vous devez d'avance éprouver les tourments de l'enfer ? ...
- Je n'y songe pas, me répliqua-t-il ...", puis il s'éloigna un peu.
Pendant ce temps-là, l'homme qui était venu se joindre à cette conversation, ou du moins l'écouter, car il n'avait rien dit jusqu'à ce moment que des oui ou des non (j'ai su peu après que c'était lui qui louait une chambre au soldat de l'armée infernale, voilà pourquoi sa présence ne l'avait point dérangé), quand, dis-je, le soldat fut assez loin de nous pour ne pas entendre, cet artisan me dit :
- Oh ! madame, il parle trop de tout cela pour qu'il n'en soit pas occupé sans cesse ; il raconte toujours ces horribles choses qui épouvantent ma femme ... Oh ! madame, il ne vous a pas dit tout ! ...
- Comment, grand Dieu ! que peut-il donc avoir fait de plus horrible ?
- Il ne vous a pas parlé des femmes qu'il faisait fondre ? ..."
Je ne comprenais pas ce que cela voulait dire, croyant ne pouvoir rien apprendre de plus pour être persuadée de l'atrocité et de la cruauté de cet homme ... quand il se rapprocha de nous. Interpellé par son propriétaire d'expliquer son trafic de femmes fondues, ce cannibale, sans se faire prier, dit "que le 6 avril 1794, il avait fait fondre cent cinquante femmes" (il y a à croire que ce fanfaron de crimes les exagère) pour avoir leur graisse.
"Deux de mes camarades étaient avec moi pour cette affaire. J'en envoyai dix barils à Nantes ; c'était comme de la graisse de momie ; elle servait pour les hôpitaux. Nous avons fait cette opération, ajouta-t-il à Clisson, vis-à-vis du château et près de la grenouillère."
Je ne me rappelle pas lui avoir demandé ce que c'était que cette grenouillère, si c'était une auberge portant ce nom, ou de la rivière dont il voulait parler ...
Au reste, je puis, malgré la promptitude avec laquelle j'ai pris des notes, faire quelques erreurs, particulièrement dans les dates que je m'étais étudiée à bien retenir, mais qui ont pu faire confusion dans ma mémoire, malgré l'effort que j'ai fait pour retenir tout ce qu'il me disait.
C'est cet effort de mémoire qui m'a fait oublier de demander à cet homme comment il s'appelait.
Il entreprit ensuite de m'expliquer comment il faisait cette horrible opération.
"Nous faisions des trous en terre, dit-il, pour placer des chaudières afin de recevoir ce qui tombait ; nous avions mis des barres de fer dessus, et puis les femmes dessus ..., puis au-dessus encore était le feu.
- Vous voulez dire dessous ? dit l'artisan.
- Non répondit ce tigre, cela n'aurait pas bien fait ; le feu était dessus ...
- Etes-vous marié ? lui demandai-je
- Oh ! non, non, dit-il ; à cause de tout cela, est-ce que j'aurais trouvé une femme ?
- J'irais à l'hôpital."
Il a convenu avoir beaucoup pillé dans la Vendée ; il envoyait son argent à mesure à Nantes, on lui achetait des biens nationaux.
Je dis à ce buveur de sang qu'étant riche d'un bien mal acquis, il devrait tâcher de réparer une partie de tout le mal qu'il avait commis, en faisant de grandes charités.
"Je n'y pense pas ; si cela revenait, je recommencerais encore. J'étais si bien connu pour bien travailler et comme boucher de la Vendée, que Carrier m'avait trouvé digne de figurer dans la compagnie de Marat qui servait à faire les noyades. Il nous avait donné deux poignards ou stylets que nous portions toujours à notre ceinture. Je les ai encore, et je m'en servirais si cela recommençait."
Il dit avoir été blessé douze fois ; enfin, il a raconté tant de choses que j'en ai oublié une partie, malgré l'attention que je mettais à tout retenir.
Je crois qu'il a de l'argent placé et qu'il paye largement les gens chez qui il loge, car ils lui croient dix mille francs de rente. C'est peut-être exagéré ; toujours est-il que c'est sur la forte somme qu'il leur donne pour son logement qu'ils le supposent aussi riche.
Ces gens-là n'ont pas l'air de l'aimer ni de l'estimer ; il n'y a donc que l'argent qu'ils en reçoivent qui peut les avoir engagés à le garder chez eux. Malgré son argent, il n'a personne pour le servir et va manger dans les pensions ; s'il était malade, il se mettrait à l'hôpital.
Si je n'avais mis en note, aussitôt que je l'ai eu quitté, tout ce que cet homme m'a dit, je n'aurais osé le faire plus tard, je croirais avoir rêvé de telles horreurs ... Cet homme avait-il bien sa raison, ou ne l'avait-il pas ? ...
Depuis je me suis informée à des personnes qui ont habité ou qui habitent encore la Flèche, cet homme n'y est point connu. Je l'ai rencontré dans la rue qui mène au cimetière de cette ville ; il était dans un petit enfoncement que forment les maison à gauche.
Je suis fâchée d'avoir oublié de lui demander son nom et son pays. Je voudrais savoir que cet homme n'est pas Français ! ...
source : shenandoahdavis.canalblog.com
- Oh ! me répondit cet homme odieux, d'un air ironique, est-ce que nous allons à l'église, nous ? Nous n'entendons jamais la messe."
J'éprouvai une sorte de soulagement ; c'était une profanation de moins.
"Malheureux ! lui dis-je, vous n'éprouvez donc pas de regrets, de remords ? Après avoir sacrifié tant de victimes ..., elles ne se dressent pas devant vous dans votre sommeil, dans vos songes ? ... Vous devez pourtant ressentir des regrets de tant de sang répandu, de tant de crimes. Il me semble que, lorsque vous êtes seul, vous devez d'avance éprouver les tourments de l'enfer ? ...
- Je n'y songe pas, me répliqua-t-il ...", puis il s'éloigna un peu.
Pendant ce temps-là, l'homme qui était venu se joindre à cette conversation, ou du moins l'écouter, car il n'avait rien dit jusqu'à ce moment que des oui ou des non (j'ai su peu après que c'était lui qui louait une chambre au soldat de l'armée infernale, voilà pourquoi sa présence ne l'avait point dérangé), quand, dis-je, le soldat fut assez loin de nous pour ne pas entendre, cet artisan me dit :
- Oh ! madame, il parle trop de tout cela pour qu'il n'en soit pas occupé sans cesse ; il raconte toujours ces horribles choses qui épouvantent ma femme ... Oh ! madame, il ne vous a pas dit tout ! ...
- Comment, grand Dieu ! que peut-il donc avoir fait de plus horrible ?
- Il ne vous a pas parlé des femmes qu'il faisait fondre ? ..."
Je ne comprenais pas ce que cela voulait dire, croyant ne pouvoir rien apprendre de plus pour être persuadée de l'atrocité et de la cruauté de cet homme ... quand il se rapprocha de nous. Interpellé par son propriétaire d'expliquer son trafic de femmes fondues, ce cannibale, sans se faire prier, dit "que le 6 avril 1794, il avait fait fondre cent cinquante femmes" (il y a à croire que ce fanfaron de crimes les exagère) pour avoir leur graisse.
"Deux de mes camarades étaient avec moi pour cette affaire. J'en envoyai dix barils à Nantes ; c'était comme de la graisse de momie ; elle servait pour les hôpitaux. Nous avons fait cette opération, ajouta-t-il à Clisson, vis-à-vis du château et près de la grenouillère."
Je ne me rappelle pas lui avoir demandé ce que c'était que cette grenouillère, si c'était une auberge portant ce nom, ou de la rivière dont il voulait parler ...
Au reste, je puis, malgré la promptitude avec laquelle j'ai pris des notes, faire quelques erreurs, particulièrement dans les dates que je m'étais étudiée à bien retenir, mais qui ont pu faire confusion dans ma mémoire, malgré l'effort que j'ai fait pour retenir tout ce qu'il me disait.
C'est cet effort de mémoire qui m'a fait oublier de demander à cet homme comment il s'appelait.
Il entreprit ensuite de m'expliquer comment il faisait cette horrible opération.
"Nous faisions des trous en terre, dit-il, pour placer des chaudières afin de recevoir ce qui tombait ; nous avions mis des barres de fer dessus, et puis les femmes dessus ..., puis au-dessus encore était le feu.
- Vous voulez dire dessous ? dit l'artisan.
- Non répondit ce tigre, cela n'aurait pas bien fait ; le feu était dessus ...
- Etes-vous marié ? lui demandai-je
- Oh ! non, non, dit-il ; à cause de tout cela, est-ce que j'aurais trouvé une femme ?
- J'irais à l'hôpital."
Il a convenu avoir beaucoup pillé dans la Vendée ; il envoyait son argent à mesure à Nantes, on lui achetait des biens nationaux.
Je dis à ce buveur de sang qu'étant riche d'un bien mal acquis, il devrait tâcher de réparer une partie de tout le mal qu'il avait commis, en faisant de grandes charités.
"Je n'y pense pas ; si cela revenait, je recommencerais encore. J'étais si bien connu pour bien travailler et comme boucher de la Vendée, que Carrier m'avait trouvé digne de figurer dans la compagnie de Marat qui servait à faire les noyades. Il nous avait donné deux poignards ou stylets que nous portions toujours à notre ceinture. Je les ai encore, et je m'en servirais si cela recommençait."
Il dit avoir été blessé douze fois ; enfin, il a raconté tant de choses que j'en ai oublié une partie, malgré l'attention que je mettais à tout retenir.
Je crois qu'il a de l'argent placé et qu'il paye largement les gens chez qui il loge, car ils lui croient dix mille francs de rente. C'est peut-être exagéré ; toujours est-il que c'est sur la forte somme qu'il leur donne pour son logement qu'ils le supposent aussi riche.
Ces gens-là n'ont pas l'air de l'aimer ni de l'estimer ; il n'y a donc que l'argent qu'ils en reçoivent qui peut les avoir engagés à le garder chez eux. Malgré son argent, il n'a personne pour le servir et va manger dans les pensions ; s'il était malade, il se mettrait à l'hôpital.
Si je n'avais mis en note, aussitôt que je l'ai eu quitté, tout ce que cet homme m'a dit, je n'aurais osé le faire plus tard, je croirais avoir rêvé de telles horreurs ... Cet homme avait-il bien sa raison, ou ne l'avait-il pas ? ...
Depuis je me suis informée à des personnes qui ont habité ou qui habitent encore la Flèche, cet homme n'y est point connu. Je l'ai rencontré dans la rue qui mène au cimetière de cette ville ; il était dans un petit enfoncement que forment les maison à gauche.
Je suis fâchée d'avoir oublié de lui demander son nom et son pays. Je voudrais savoir que cet homme n'est pas Français ! ...
source : shenandoahdavis.canalblog.com
Souvenirs de la comtesse de La Bouère, la Guerre de la Vendée, 1793-1796
Des mémoires incontournables sur les Guerres de Vendée en Anjou.
Au cœur de l'insurrection vendéenne, la comtesse de La Bouëre livre un passionnant récit sur la vie et les moeurs des habitants des Mauges, sur le quotidien des Vendéennes pendant la guerre et sur les ravages des armées républicaines dont elle ne peut oublier les mois de terreur. On trouve à la fin de l'ouvrage le témoignage effrayant, recueilli en 1829, d'un bourreau de la Vendée, simple soldat, sur les atrocités commises par les armées de la Convention.
Avec ses Souvenirs, la comtesse de La Bouëre a acquis un statut de mémorialiste comparable à celui de la marquise de La Rochejaquelein.
Réimpression de l'édition de 1890
384 pages, 14 x 21
20,50 €
Je commande dans la boutique
Des mémoires incontournables sur les Guerres de Vendée en Anjou.
Au cœur de l'insurrection vendéenne, la comtesse de La Bouëre livre un passionnant récit sur la vie et les moeurs des habitants des Mauges, sur le quotidien des Vendéennes pendant la guerre et sur les ravages des armées républicaines dont elle ne peut oublier les mois de terreur. On trouve à la fin de l'ouvrage le témoignage effrayant, recueilli en 1829, d'un bourreau de la Vendée, simple soldat, sur les atrocités commises par les armées de la Convention.
Avec ses Souvenirs, la comtesse de La Bouëre a acquis un statut de mémorialiste comparable à celui de la marquise de La Rochejaquelein.
Réimpression de l'édition de 1890
384 pages, 14 x 21
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