Manoir de la Jaunaye du 12 au 17 février 1795
Le Traite dé la Jaunaye était signé il y a 220 ans. Un marché de dupes pour la Vendée
Du 12 au 17 février 1795, au Manoir de la Jaunaye (sur la commune de Saint-Sébastien sur Loire, en Loire-Atlantique), plusieurs chefs vendéens se réunissent face à divers représentants de la Convention Nationale pour débattre, parlementer et négocier. À défaut de s'entendre sur tout, et de savoir si un réel accord demeure envisageable, on espère tout au moins parvenir, entre gens de bonne intelligence, à un consensus visant à apaiser le duel fratricide et dramatique qui, depuis presque deux ans, oppose les insurgés vendéens aux armées de la République.
De ces âpres négociations naîtra, le 17 février, le Traité de la Jaunaye, dont la signature marque un tournant majeur dans la poursuite de la guerre de Vendée.
Ainsi, en se basant sur le contexte historique et politique de l'époque, de même que sur les différentes sources d'archives, la présente étude tentera de répondre aux questions suivantes : Faut-il voir, dans ce traité, une sorte de marché de dupes, entre « Blancs » d'une part, et « Bleus » d'autre part ? Les uns essaient-ils de se jouer des autres, et inversement ?
La pacification, conclue et signée mutuellement, n'est-elle pas, au bout du compte, qu'un leurre sournois et un mirage aux conséquences douloureuses ?
Entre Vendéens et Républicains, qui trompe qui ?
La commémoration du 220e anniversaire de ce traité nous invite à répondre à ces interrogations.
De ces âpres négociations naîtra, le 17 février, le Traité de la Jaunaye, dont la signature marque un tournant majeur dans la poursuite de la guerre de Vendée.
Ainsi, en se basant sur le contexte historique et politique de l'époque, de même que sur les différentes sources d'archives, la présente étude tentera de répondre aux questions suivantes : Faut-il voir, dans ce traité, une sorte de marché de dupes, entre « Blancs » d'une part, et « Bleus » d'autre part ? Les uns essaient-ils de se jouer des autres, et inversement ?
La pacification, conclue et signée mutuellement, n'est-elle pas, au bout du compte, qu'un leurre sournois et un mirage aux conséquences douloureuses ?
Entre Vendéens et Républicains, qui trompe qui ?
La commémoration du 220e anniversaire de ce traité nous invite à répondre à ces interrogations.
I) Le contexte historique et politique
Un territoire ravagé, une population décimée par une politique de la terre brûlée. « Mort aux ennemis de la Liberté ! »
En février 1795, la guerre de Vendée (née du soulèvement populaire de mars 1793) déchire l'ouest de la France depuis presque deux ans déjà.
Depuis la capitale, les révolutionnaires parisiens regardent cette lutte intestine comme un cancer qui, selon les mots de Barère (rapporteur du Comité de Salut Public), est « un chancre qui dévore le cœur de la République » 1.
A ces grands maux, la France alors en pleine Révolution, a pourtant bel et bien tenté d'apporter des grands remèdes, mais rien n'y a fait. Tous sont restés vains, ou quasiment.
Même le général en chef de l'armée de l'Ouest, Turreau, n'a pas réussi. Et ce n'était pourtant pas faute d'essayer : du mois de janvier 1794 jusqu'au mois de Mai de cette même année, lui et ses douze colonnes infernales (appelées ironiquement « queues de Robespierre ») ont balayé le territoire insurgé pour détruire, massacrer et incendier tout ce qui se trouvait sur leur passage.
Cinq mois durant, ces Attilas modernes firent de leur mieux pour, conformément aux ordres donnés, « faire de cette contrée un désert, et éradiquer cette race rebelle et impure du sol de la Liberté » 2.
Entre basses œuvres et excès de zèle au nom d'une République chaque fois plus terroriste, les résultats produits étaient bien différents de ceux escomptés. Certes, les armées républicaines avaient rendu la mort omniprésente. Ici et là, les carnages et les charniers se multipliaient. Démographiquement et matériellement, la Vendée était ravagée.
Mais ces exactions, au lieu d'étouffer la révolte, avaient ravivé la haine et la colère de ceux qui restaient vivants et combattaient encore, au nom de Dieu et pour le Roi.
Face à l'inefficacité des méthodes employées, Turreau est rappelé en mai 1794. À partir de ce moment, la machine s'emballe…
Deux mois plus tard, fin Juillet, « L'Incorruptible » Robespierre, l'apôtre de la Terreur, est renversé et décapité.
Dans la foulée, le général Hoche est nommé à la tête de l'Armée des Côtes de Brest (août 1794) et Canclaux prend le commandement de l'Armée de l'Ouest (Octobre).
Tous deux optent pour une politique d'apaisement et de pacification. Des contacts sont établis avec les principaux chefs vendéens. Ils augurent la future rencontre de La Jaunaye.
Depuis la capitale, les révolutionnaires parisiens regardent cette lutte intestine comme un cancer qui, selon les mots de Barère (rapporteur du Comité de Salut Public), est « un chancre qui dévore le cœur de la République » 1.
A ces grands maux, la France alors en pleine Révolution, a pourtant bel et bien tenté d'apporter des grands remèdes, mais rien n'y a fait. Tous sont restés vains, ou quasiment.
Même le général en chef de l'armée de l'Ouest, Turreau, n'a pas réussi. Et ce n'était pourtant pas faute d'essayer : du mois de janvier 1794 jusqu'au mois de Mai de cette même année, lui et ses douze colonnes infernales (appelées ironiquement « queues de Robespierre ») ont balayé le territoire insurgé pour détruire, massacrer et incendier tout ce qui se trouvait sur leur passage.
Cinq mois durant, ces Attilas modernes firent de leur mieux pour, conformément aux ordres donnés, « faire de cette contrée un désert, et éradiquer cette race rebelle et impure du sol de la Liberté » 2.
Entre basses œuvres et excès de zèle au nom d'une République chaque fois plus terroriste, les résultats produits étaient bien différents de ceux escomptés. Certes, les armées républicaines avaient rendu la mort omniprésente. Ici et là, les carnages et les charniers se multipliaient. Démographiquement et matériellement, la Vendée était ravagée.
Mais ces exactions, au lieu d'étouffer la révolte, avaient ravivé la haine et la colère de ceux qui restaient vivants et combattaient encore, au nom de Dieu et pour le Roi.
Face à l'inefficacité des méthodes employées, Turreau est rappelé en mai 1794. À partir de ce moment, la machine s'emballe…
Deux mois plus tard, fin Juillet, « L'Incorruptible » Robespierre, l'apôtre de la Terreur, est renversé et décapité.
Dans la foulée, le général Hoche est nommé à la tête de l'Armée des Côtes de Brest (août 1794) et Canclaux prend le commandement de l'Armée de l'Ouest (Octobre).
Tous deux optent pour une politique d'apaisement et de pacification. Des contacts sont établis avec les principaux chefs vendéens. Ils augurent la future rencontre de La Jaunaye.
II) Un rapprochement inconcevable…
Le massacre de des Lucs. Mais qui étaient donc les Brigands ? La Révolution aura aussi inversée le sens des mots.
Les contacts instaurés par les militaires républicains auprès des chefs vendéens dénotent une volonté de rapprochement qui semblait pourtant tout aussi inenvisageable qu’inconcevable…
En effet, depuis l'éclatement de la guerre, la propagande de l'époque (par le biais des journaux et autres tribunes ou proclamations) a rigoureusement pris soin de façonner, en direct, l'image d'une Vendée anti-républicaine et anti-française. Cette représentation contemporaine des événements, et destinée à l'opinion publique, va même plus loin, puisqu'elle a répondu à plusieurs objectifs :
⁃ décrédibiliser la révolte vendéenne
⁃ diaboliser les insurgés en leur donnant le nom générique de « brigands »
⁃ déshumaniser les populations, blanches et bleues confondues, non pour ce qu'elles avaient fait, ou pouvaient avoir fait, mais pour le simple fait qu'elles avaient le malheur de résider sur le territoire de la Vendée Militaire, et que cela faisait d'elles des « Vendéens » 3.
De même, tout au long des années 1793-1794, la propagande révolutionnaire a précautionneusement entretenu le clivage : les Vendéens font partie d'une « race à part », une race qui est de surcroît « maudite » puisque s'inscrivant en totale opposition à une révolution intrinsèquement « bonne et généreuse ».4
Au milieu de l'année 1794, la fracture semble donc s'agrandir chaque fois un peu plus. À en croire la presse d'opinion, le divorce entre un peuple et une partie de ce même peuple est largement consommé. Pire, la déchirure occasionnée paraît irréversible.
Dans ce contexte brûlant et douloureux, un quelconque rapprochement entre les deux belligérants de ce duel franco-français relève de l’improbable, de l’inimaginable.
En effet, depuis l'éclatement de la guerre, la propagande de l'époque (par le biais des journaux et autres tribunes ou proclamations) a rigoureusement pris soin de façonner, en direct, l'image d'une Vendée anti-républicaine et anti-française. Cette représentation contemporaine des événements, et destinée à l'opinion publique, va même plus loin, puisqu'elle a répondu à plusieurs objectifs :
⁃ décrédibiliser la révolte vendéenne
⁃ diaboliser les insurgés en leur donnant le nom générique de « brigands »
⁃ déshumaniser les populations, blanches et bleues confondues, non pour ce qu'elles avaient fait, ou pouvaient avoir fait, mais pour le simple fait qu'elles avaient le malheur de résider sur le territoire de la Vendée Militaire, et que cela faisait d'elles des « Vendéens » 3.
De même, tout au long des années 1793-1794, la propagande révolutionnaire a précautionneusement entretenu le clivage : les Vendéens font partie d'une « race à part », une race qui est de surcroît « maudite » puisque s'inscrivant en totale opposition à une révolution intrinsèquement « bonne et généreuse ».4
Au milieu de l'année 1794, la fracture semble donc s'agrandir chaque fois un peu plus. À en croire la presse d'opinion, le divorce entre un peuple et une partie de ce même peuple est largement consommé. Pire, la déchirure occasionnée paraît irréversible.
Dans ce contexte brûlant et douloureux, un quelconque rapprochement entre les deux belligérants de ce duel franco-français relève de l’improbable, de l’inimaginable.
III) La fin des hostilités, utopie ou réalité ?
Samedi 14 février 2015 était inaugurée une immense et magnifique fresque de 4 m x 5
Au terme de plusieurs semaines de tergiversations, et suite aux contacts noués, Charette se laisse convaincre de se rendre, le 12 février 1795, à midi et demi tapantes, au Lion d'Or, situé sur la route de Clisson, à deux pas du Manoir de la Jaunaye.
Une tente, destinée à abriter les négociations, est dressée pour l'occasion. Charette arrive, entouré d'une douzaine de compagnons (dont quelques chefs chouans), ainsi que de trois cents cavaliers. Comme à son habitude, il a revêtu l'une de ses plus belles toilettes : parement vif et scapulaire brodé, foulard des Indes noué autour du cou et sabre accroché à la ceinture. Une tenue à la mesure de la solennité de l'événement.
Le général vendéen se retrouve soudainement projeté sur le devant de la scène. Il entend jouer sur les apparences, impressionner ses interlocuteurs et frapper, d'entrée, un grand coup. Chef de guerre, Charette se mue alors en chef politique. Même s'il ne bénéficie pas du titre prestigieux et honorifique de « Généralissime 5 », il sait que sur ses épaules repose désormais l'avenir de la Vendée en guerre.
Une pléiade de républicains attend la délégation vendéenne. L'accueil est froid. L'ambiance, glaciale. Ils sont douze également. Douze contre douze. Leurs uniformes rutilants portent la cocarde tricolore, symbole du nouveau pouvoir en place. L'heure des pourparlers a sonné.
On s'observe mutuellement, on se jauge beaucoup. On se regarde en chiens de faïence, en essayant de deviner les réelles intentions de l'autre parti. On traite de puissance à puissance.
Chacun a en face de lui les rivaux tant de fois redoutés et si souvent combattus. Le « Grand Brigand », Charette, est face à eux. Enfin. Car tous redoutaient qu'il ne vînt pas.
Mélange de soulagement et d'appréhension. Mélange de craintes et d'espoirs. Ils ne se sont jamais rencontrés auparavant, et ils ne se rencontreront plus jamais après. Etranges circonstances. Mais au bout du compte, un seul dilemme dans les esprits : la paix ou la guerre.
Le jeu est joué d'avance : chacun va tenter de faire preuve de suffisamment d'habileté dans le langage et de stratégie dans les négociations pour prendre l' ascendant, et remporter ainsi un maximum de bénéfices pour le camp qu'il représente.
C'est dans cet état d'esprit que s'ouvrent plusieurs jours de conférences.
Les Vendéens, logés dans le château de la Jaunaye, sont les hôtes de la République.
Vendéens :
Charette (chef de l'armée de la Basse-Vendée)
Couëtus (major-général de Charette)
Béjarry (officier de l'armée du Centre)
Samuel de Lespinay
Sapinaud (chef de l'armée du Centre)
Fleuriot (dernier généralissime)
Baudry d'Asson
d'Auvynet
Abbé Remaud
Abbé Jagault
Cormatin (major général)
Solilhac (aide-major de Puisaye)
Républicains :
Ruelle (député régicide d'Indre & Loire)
Delaunay (député du Maine & Loire)
Menuau (député du Maine & Loire)
Lofficial (député des Deux-Sèvres)
Dornier (député de Haute-Saône)
Chaillon (député de Loire-Inférieure6)
Morisson (député de Vendée)
Bollet (député du Pas-de-Calais)
Pomme (député de Guyanne)
Jarry (député de Loire-Inférieure)
Brue (député du Morbihan)
Canclaux (général des armées)
Les Vendéens étaient venus à la Jaunaye avec une liste de vingt-deux revendications qui, sitôt exprimées, paraissait déjà utopique et irréalisable aux yeux des Républicains. On y demandait, entre autres, la liberté du culte catholique/des indemnités financières pour les biens détruits par le grand brûlement du général Turreau, ainsi que des indemnités pour la reconstruction des territoires ravagés/l'interdiction du territoire insurgé à « Carrier, Robespierre et à leurs adhérents » l'autorisation de ne pas arborer, sur le territoire vendéen, les trois couleurs – bleu, blanc rouge — que se soit sous la forme de drapeau ou bien même de cocarde/la suppression des impôts pour une durée de dix ans, mais également le droit, pour les Vendéens, de pouvoir garder et porter leurs armes, à condition de ne plus s'en servir pour combattre la République…
La liste s'allonge encore de multiples demandes. Malgré les apparences, les Vendéens ne s'y trompent pas : tous savent pertinemment que les chances d'avoir gain de cause à ces revendications sont infimes.
Pour les Républicains, elles paraissent même exagérées, pour ne pas dire prétentieuses. Car en effet, à en croire cette longue liste de demandes, les accepter reviendrait à accorder à la Vendée une grande part d'autonomie au sein d'une République qui est, rappelons-le, constitutionnellement « une et indivisible ».
Mais pour ne pas avorter un débat à peine commencé, les représentants de la République, après plusieurs jours d'âpres négociations, firent de nombreuses concessions et se montrèrent disposés à accepter bon nombre de revendications royalistes, telle que la formation d'une garde territoriale, dirigée par les généraux vendéens mais rémunérée par l'État/le remboursement des bons royaux, et le versement de dix-huit millions d'indemnités pour la reconstruction du pays et la relance de l'économie.
Pour les révolutionnaires, ces concessions n'étaient pas dénuées d'intérêts : premièrement, ils démontraient de cette manière qu'ils ne restaient pas campés sur leurs positions, et qu'ils étaient eux aussi capables d'être ouverts au dialogue face à leurs ennemis jurés ; deuxièmement, ces quelques concessions aux royalistes leur servaient de légitimité pour en exiger d'autres en contrepartie (et une en particulier : la reconnaissance de la République Française de la part des insurgés).
Selon la politique du « donnant-donnant », les royalistes seraient non seulement contraints de revoir leurs ambitions à la baisse leurs mais aussi d'accepter, en retour, d'autres conditions pouvant paraître également inacceptables et irréalisables.
Dans ce jeu du « Tel est pris qui croyait prendre », chaque camp tentait de tromper l'autre sur ses véritables intentions, tout en sachant qu'au bout du compte, personne n'était dupe.
Dans cette escalade des revendications, Charette, non-content des concessions déjà faites par la République, joua le jeu de la surenchère en exposant d'autres exigences, toujours plus invraisemblables. Il entendait imposer ses propres règles du jeu à ses adversaires.
Il demandait cette fois le retour des prêtres non-jureurs - insermentés - dans leurs paroisses, de même que la suspension de la conscription sur le territoire insurgé pendant plusieurs années.
Malgré cela, les Bleus semblèrent, une fois encore, disposés à accepter.
En réalité, ils étaient prêts à transiger sur beaucoup de choses, mais pas sur trois points : la reconnaissance de la République bien sûr - pierre angulaire des négociations, mais également l'exercice de la religion catholique, uniquement dans le cadre intime et privé. Ils exigeaient enfin que, les émigrés, une fois rentrés, ne pouvaient prétendre à la restitution de leurs biens confisqués par l'État.
Comme l'avaient fait les représentants de la République un peu plus tôt, Charette se montra étonnamment, et à la surprise de tous, disposé à accepter ces conditions, ce qui déclencha une vague d'incompréhension côté vendéen. Tous ceux qui l'accompagnaient se demandaient comment pouvait-il envisager, ne serait-ce qu'une seule seconde, d'accepter la reconnaissance d'un régime haï, honni, régicide, liberticide et terroriste, et contre lequel des milliers de soldats vendéens avaient combattu si durement, au prix de leurs vies bien souvent.
Comment lui, Charette, pouvait-il donner ne serait-ce qu'une once de légitimité à un pouvoir qui avait décidé, voté et organisé l'extermination de populations et la destruction généralisée d'une partie de son territoire ?
L'incompréhension la plus totale se mêla à la colère.
Beaucoup de représentants vendéens, en plus de quitter la table des négociations, éprouvèrent le sentiment d'être en train de se faire trahir par l'un de ceux en qui ils avaient placé toute leur confiance et tous leurs espoirs.
L'inconcevable était en train de se produire sous leurs yeux. L'assentiment scandaleux de Charette réduisait à néant tous les efforts fournis et les souffrances endurées.
Une tente, destinée à abriter les négociations, est dressée pour l'occasion. Charette arrive, entouré d'une douzaine de compagnons (dont quelques chefs chouans), ainsi que de trois cents cavaliers. Comme à son habitude, il a revêtu l'une de ses plus belles toilettes : parement vif et scapulaire brodé, foulard des Indes noué autour du cou et sabre accroché à la ceinture. Une tenue à la mesure de la solennité de l'événement.
Le général vendéen se retrouve soudainement projeté sur le devant de la scène. Il entend jouer sur les apparences, impressionner ses interlocuteurs et frapper, d'entrée, un grand coup. Chef de guerre, Charette se mue alors en chef politique. Même s'il ne bénéficie pas du titre prestigieux et honorifique de « Généralissime 5 », il sait que sur ses épaules repose désormais l'avenir de la Vendée en guerre.
Une pléiade de républicains attend la délégation vendéenne. L'accueil est froid. L'ambiance, glaciale. Ils sont douze également. Douze contre douze. Leurs uniformes rutilants portent la cocarde tricolore, symbole du nouveau pouvoir en place. L'heure des pourparlers a sonné.
On s'observe mutuellement, on se jauge beaucoup. On se regarde en chiens de faïence, en essayant de deviner les réelles intentions de l'autre parti. On traite de puissance à puissance.
Chacun a en face de lui les rivaux tant de fois redoutés et si souvent combattus. Le « Grand Brigand », Charette, est face à eux. Enfin. Car tous redoutaient qu'il ne vînt pas.
Mélange de soulagement et d'appréhension. Mélange de craintes et d'espoirs. Ils ne se sont jamais rencontrés auparavant, et ils ne se rencontreront plus jamais après. Etranges circonstances. Mais au bout du compte, un seul dilemme dans les esprits : la paix ou la guerre.
Le jeu est joué d'avance : chacun va tenter de faire preuve de suffisamment d'habileté dans le langage et de stratégie dans les négociations pour prendre l' ascendant, et remporter ainsi un maximum de bénéfices pour le camp qu'il représente.
C'est dans cet état d'esprit que s'ouvrent plusieurs jours de conférences.
Les Vendéens, logés dans le château de la Jaunaye, sont les hôtes de la République.
Vendéens :
Charette (chef de l'armée de la Basse-Vendée)
Couëtus (major-général de Charette)
Béjarry (officier de l'armée du Centre)
Samuel de Lespinay
Sapinaud (chef de l'armée du Centre)
Fleuriot (dernier généralissime)
Baudry d'Asson
d'Auvynet
Abbé Remaud
Abbé Jagault
Cormatin (major général)
Solilhac (aide-major de Puisaye)
Républicains :
Ruelle (député régicide d'Indre & Loire)
Delaunay (député du Maine & Loire)
Menuau (député du Maine & Loire)
Lofficial (député des Deux-Sèvres)
Dornier (député de Haute-Saône)
Chaillon (député de Loire-Inférieure6)
Morisson (député de Vendée)
Bollet (député du Pas-de-Calais)
Pomme (député de Guyanne)
Jarry (député de Loire-Inférieure)
Brue (député du Morbihan)
Canclaux (général des armées)
Les Vendéens étaient venus à la Jaunaye avec une liste de vingt-deux revendications qui, sitôt exprimées, paraissait déjà utopique et irréalisable aux yeux des Républicains. On y demandait, entre autres, la liberté du culte catholique/des indemnités financières pour les biens détruits par le grand brûlement du général Turreau, ainsi que des indemnités pour la reconstruction des territoires ravagés/l'interdiction du territoire insurgé à « Carrier, Robespierre et à leurs adhérents » l'autorisation de ne pas arborer, sur le territoire vendéen, les trois couleurs – bleu, blanc rouge — que se soit sous la forme de drapeau ou bien même de cocarde/la suppression des impôts pour une durée de dix ans, mais également le droit, pour les Vendéens, de pouvoir garder et porter leurs armes, à condition de ne plus s'en servir pour combattre la République…
La liste s'allonge encore de multiples demandes. Malgré les apparences, les Vendéens ne s'y trompent pas : tous savent pertinemment que les chances d'avoir gain de cause à ces revendications sont infimes.
Pour les Républicains, elles paraissent même exagérées, pour ne pas dire prétentieuses. Car en effet, à en croire cette longue liste de demandes, les accepter reviendrait à accorder à la Vendée une grande part d'autonomie au sein d'une République qui est, rappelons-le, constitutionnellement « une et indivisible ».
Mais pour ne pas avorter un débat à peine commencé, les représentants de la République, après plusieurs jours d'âpres négociations, firent de nombreuses concessions et se montrèrent disposés à accepter bon nombre de revendications royalistes, telle que la formation d'une garde territoriale, dirigée par les généraux vendéens mais rémunérée par l'État/le remboursement des bons royaux, et le versement de dix-huit millions d'indemnités pour la reconstruction du pays et la relance de l'économie.
Pour les révolutionnaires, ces concessions n'étaient pas dénuées d'intérêts : premièrement, ils démontraient de cette manière qu'ils ne restaient pas campés sur leurs positions, et qu'ils étaient eux aussi capables d'être ouverts au dialogue face à leurs ennemis jurés ; deuxièmement, ces quelques concessions aux royalistes leur servaient de légitimité pour en exiger d'autres en contrepartie (et une en particulier : la reconnaissance de la République Française de la part des insurgés).
Selon la politique du « donnant-donnant », les royalistes seraient non seulement contraints de revoir leurs ambitions à la baisse leurs mais aussi d'accepter, en retour, d'autres conditions pouvant paraître également inacceptables et irréalisables.
Dans ce jeu du « Tel est pris qui croyait prendre », chaque camp tentait de tromper l'autre sur ses véritables intentions, tout en sachant qu'au bout du compte, personne n'était dupe.
Dans cette escalade des revendications, Charette, non-content des concessions déjà faites par la République, joua le jeu de la surenchère en exposant d'autres exigences, toujours plus invraisemblables. Il entendait imposer ses propres règles du jeu à ses adversaires.
Il demandait cette fois le retour des prêtres non-jureurs - insermentés - dans leurs paroisses, de même que la suspension de la conscription sur le territoire insurgé pendant plusieurs années.
Malgré cela, les Bleus semblèrent, une fois encore, disposés à accepter.
En réalité, ils étaient prêts à transiger sur beaucoup de choses, mais pas sur trois points : la reconnaissance de la République bien sûr - pierre angulaire des négociations, mais également l'exercice de la religion catholique, uniquement dans le cadre intime et privé. Ils exigeaient enfin que, les émigrés, une fois rentrés, ne pouvaient prétendre à la restitution de leurs biens confisqués par l'État.
Comme l'avaient fait les représentants de la République un peu plus tôt, Charette se montra étonnamment, et à la surprise de tous, disposé à accepter ces conditions, ce qui déclencha une vague d'incompréhension côté vendéen. Tous ceux qui l'accompagnaient se demandaient comment pouvait-il envisager, ne serait-ce qu'une seule seconde, d'accepter la reconnaissance d'un régime haï, honni, régicide, liberticide et terroriste, et contre lequel des milliers de soldats vendéens avaient combattu si durement, au prix de leurs vies bien souvent.
Comment lui, Charette, pouvait-il donner ne serait-ce qu'une once de légitimité à un pouvoir qui avait décidé, voté et organisé l'extermination de populations et la destruction généralisée d'une partie de son territoire ?
L'incompréhension la plus totale se mêla à la colère.
Beaucoup de représentants vendéens, en plus de quitter la table des négociations, éprouvèrent le sentiment d'être en train de se faire trahir par l'un de ceux en qui ils avaient placé toute leur confiance et tous leurs espoirs.
L'inconcevable était en train de se produire sous leurs yeux. L'assentiment scandaleux de Charette réduisait à néant tous les efforts fournis et les souffrances endurées.
IV) Quelle monnaie d'échange ?
Face à la colère bouillonnante de ses homologues, Charette tenta comme il le put de rassurer son monde, en faisant fi des insultes qui commençaient déjà à pleuvoir à son encontre. Ce genre de comportement l'exaspérait, car il faisait apparaître au grand jour, et face à l'ennemi, des divisions et des fractures internes à son propre camp. Il décida alors de prendre l'assistance à témoin :
« Je ne puis, leur dit-il, vous dévoiler les motifs qui m'engagent à faire la paix, mais vous devez avoir assez de confiance en moi pour croire qu'ils sont purs, honorables, et tels enfin qu'ils doivent être. Ayant donné ma parole aux représentants du peuple, je ne puis partir sans signer ce traité ; j'espère que vous le signerez avec moi »
La colère céda la place à la curiosité : mais quels étaient donc ces motifs que Charette qualifiait lui-même de « purs » et d’« honorables » ?
*
Toutes les sources historiques7 s'accordent à dire que l'une des particularités des négociations de la Jaunaye réside dans le fait que certaines d'entre elles étaient pour ainsi dire « publiques », mais que d'autres se sont déroulées à huis clos, entre Charette et les représentants de la République.
Deux sortes de négociations, en quelque sorte parallèles : les unes étant rendues publiques, écrites, retranscrites, et les autres, confidentielles et simplement orales.
Depuis le début, les Républicains ont très vite compris que la véritable motivation des Vendéens concernait bien sûr le combat pour la foi catholique (et sa libre pratique), mais qu'elle se portait surtout sur la défense de la royauté. Or, en ce mois de février 1795, que reste-t-il de la royauté ? Rien. Ou presque.
Le roi Louis XVI, condamné par jugement, a été guillotiné (le 21 janvier 1793). La reine Marie-Antoinette suivait le même chemin quelques mois plus tard (octobre 1793). La royauté, en tant que régime politique était en miettes, et appartenait déjà au passé.
Mais au-delà de cet acharnement régicide, restait malgré tout un roi de France, le jeune dauphin Louis XVII. Un enfant de dix-ans, retenu prisonnier dans le donjon du Temple, à Paris. Fils du roi guillotiné injustement, il représentait les derniers restes d'un régime multiséculaire, brusquement renversé par les soubresauts de la Révolution.
D'ailleurs, dès les premiers temps du soulèvement vendéen (Avril Mai 1793) plusieurs voix s'étaient exprimées pour aller libérer le jeune roi à Paris, l'arracher des mains de ses geôliers maltraitants, et le réinstaller enfin sur le trône de ses pères.
Mais ces plans n'avaient jamais abouti.
En ce mois de février 1795, les Républicains avaient parfaitement conscience de la valeur politique que représentait Louis XVII. À lui seul, et du haut de ses dix jeunes années, il était un trésor inestimable. C'était sûr et certain : les Vendéens seraient prêts à tout, et à tous les sacrifices, afin de retrouver ce jeune dauphin pour lequel ils se battent depuis si longtemps. Quitte à avaler quelques couleuvres…
Dès l'instant où ils comprirent cela, les conventionnels savaient qu'ils tenaient Charette, et au travers lui, toute la Vendée.
L'histoire prétend que lors d'une des conférences à huis clos, les Conventionnels promirent à Charette, dans le secret le plus absolu, de restituer aux Vendéens le jeune Louis XVII, en échange de la signature du Traité.
Habiles, les révolutionnaires exigèrent de Charette la plus grande discrétion sur ce sujet. Et cette promesse, faite oralement, ne fut jamais, secret oblige, retranscrite par écrit. Il s'agissait en quelque sorte d'une clause secrète du Traité. Une clause annexe, au sujet de laquelle le strict minimum de personnes devait être au courant sous peine de la rendre caduque.
Si Charette acceptait le Traité de la Jaunaye, s'il acceptait les conditions imposées par la République, le jeune Louis XVII et sa sœur lui seraient remis sur parole avant la fin du printemps dans son quartier général de Belleville, en Vendée.
Le marché était alléchant, mais pour Charette, l'accepter était prendre le risque de faire confiance à ses ennemis. Ils pouvaient aussi bien tenir et réaliser leur promesse que renier la parole donnée dans la plus stricte intimité. Cette deuxième option était d'ailleurs doublement plausible car, comme sous le sceau du secret, rien n'avait été écrit ni signé entre les deux partis, les paroles pouvaient s'envoler et il serait ensuite facile pour les Bleus de tout nier en bloc, et de mentir sur un quelconque arrangement de la sorte, qui plus est avec « le chef des brigands ».
En donnant sa parole, Charette jouait gros. Il avait parfaitement conscience de tout miser sur un coup de dés. Ne restait plus maintenant qu'à espérer que cette promesse républicaine n'était pas une tromperie monumentale dont la finalité viserait, la fin justifiant les moyens, à précipiter la fin de la guerre en Vendée.
« Je ne puis, leur dit-il, vous dévoiler les motifs qui m'engagent à faire la paix, mais vous devez avoir assez de confiance en moi pour croire qu'ils sont purs, honorables, et tels enfin qu'ils doivent être. Ayant donné ma parole aux représentants du peuple, je ne puis partir sans signer ce traité ; j'espère que vous le signerez avec moi »
La colère céda la place à la curiosité : mais quels étaient donc ces motifs que Charette qualifiait lui-même de « purs » et d’« honorables » ?
*
Toutes les sources historiques7 s'accordent à dire que l'une des particularités des négociations de la Jaunaye réside dans le fait que certaines d'entre elles étaient pour ainsi dire « publiques », mais que d'autres se sont déroulées à huis clos, entre Charette et les représentants de la République.
Deux sortes de négociations, en quelque sorte parallèles : les unes étant rendues publiques, écrites, retranscrites, et les autres, confidentielles et simplement orales.
Depuis le début, les Républicains ont très vite compris que la véritable motivation des Vendéens concernait bien sûr le combat pour la foi catholique (et sa libre pratique), mais qu'elle se portait surtout sur la défense de la royauté. Or, en ce mois de février 1795, que reste-t-il de la royauté ? Rien. Ou presque.
Le roi Louis XVI, condamné par jugement, a été guillotiné (le 21 janvier 1793). La reine Marie-Antoinette suivait le même chemin quelques mois plus tard (octobre 1793). La royauté, en tant que régime politique était en miettes, et appartenait déjà au passé.
Mais au-delà de cet acharnement régicide, restait malgré tout un roi de France, le jeune dauphin Louis XVII. Un enfant de dix-ans, retenu prisonnier dans le donjon du Temple, à Paris. Fils du roi guillotiné injustement, il représentait les derniers restes d'un régime multiséculaire, brusquement renversé par les soubresauts de la Révolution.
D'ailleurs, dès les premiers temps du soulèvement vendéen (Avril Mai 1793) plusieurs voix s'étaient exprimées pour aller libérer le jeune roi à Paris, l'arracher des mains de ses geôliers maltraitants, et le réinstaller enfin sur le trône de ses pères.
Mais ces plans n'avaient jamais abouti.
En ce mois de février 1795, les Républicains avaient parfaitement conscience de la valeur politique que représentait Louis XVII. À lui seul, et du haut de ses dix jeunes années, il était un trésor inestimable. C'était sûr et certain : les Vendéens seraient prêts à tout, et à tous les sacrifices, afin de retrouver ce jeune dauphin pour lequel ils se battent depuis si longtemps. Quitte à avaler quelques couleuvres…
Dès l'instant où ils comprirent cela, les conventionnels savaient qu'ils tenaient Charette, et au travers lui, toute la Vendée.
L'histoire prétend que lors d'une des conférences à huis clos, les Conventionnels promirent à Charette, dans le secret le plus absolu, de restituer aux Vendéens le jeune Louis XVII, en échange de la signature du Traité.
Habiles, les révolutionnaires exigèrent de Charette la plus grande discrétion sur ce sujet. Et cette promesse, faite oralement, ne fut jamais, secret oblige, retranscrite par écrit. Il s'agissait en quelque sorte d'une clause secrète du Traité. Une clause annexe, au sujet de laquelle le strict minimum de personnes devait être au courant sous peine de la rendre caduque.
Si Charette acceptait le Traité de la Jaunaye, s'il acceptait les conditions imposées par la République, le jeune Louis XVII et sa sœur lui seraient remis sur parole avant la fin du printemps dans son quartier général de Belleville, en Vendée.
Le marché était alléchant, mais pour Charette, l'accepter était prendre le risque de faire confiance à ses ennemis. Ils pouvaient aussi bien tenir et réaliser leur promesse que renier la parole donnée dans la plus stricte intimité. Cette deuxième option était d'ailleurs doublement plausible car, comme sous le sceau du secret, rien n'avait été écrit ni signé entre les deux partis, les paroles pouvaient s'envoler et il serait ensuite facile pour les Bleus de tout nier en bloc, et de mentir sur un quelconque arrangement de la sorte, qui plus est avec « le chef des brigands ».
En donnant sa parole, Charette jouait gros. Il avait parfaitement conscience de tout miser sur un coup de dés. Ne restait plus maintenant qu'à espérer que cette promesse républicaine n'était pas une tromperie monumentale dont la finalité viserait, la fin justifiant les moyens, à précipiter la fin de la guerre en Vendée.
V) Quitte ou double ?
Quel était le plan de Charrette ?
De cette clause, de ces articles secrets, il ne subsiste, aujourd'hui pas plus qu'hier, aucune trace.
Toujours est-il qu'en ce 17 février 1795, Charette apposa sa signature au bas du Traité dont les derniers paragraphes se résument en ces phrases :
« Réunis sous une même tente avec les représentants du peuple, nous avons senti plus fortement encore, s'il est possible, que nous étions français, que le bien général de notre partie devait seul nous animer. Et c'est dans ces sentiments que nous déclarons solennellement à la Convention Nationale et à la France entière nous soumettre à la République Française, une et indivisible ; que nous reconnaissons ses lois et que nous prenons l'engagement formel de n'y porter aucune atteinte. […] Nous promettons de remettre le plus tôt possible l'artillerie et les chevaux d'artillerie qui sont entre nos mains. Nous prenons l'engagement solennel de ne jamais porter les armes contre la République » 8
La signature de Charette équivaut non seulement à une reconnaissance entière et sans limites de la République, mais aussi à une soumission vis-à-vis du nouveau pouvoir.
Avec la conclusion de ces accords, les Bleus prennent un ascendant politique et moral sur leurs adversaires qui, enfin, se réconcilient ouvertement avec la République.
Toujours est-il qu'en ce 17 février 1795, Charette apposa sa signature au bas du Traité dont les derniers paragraphes se résument en ces phrases :
« Réunis sous une même tente avec les représentants du peuple, nous avons senti plus fortement encore, s'il est possible, que nous étions français, que le bien général de notre partie devait seul nous animer. Et c'est dans ces sentiments que nous déclarons solennellement à la Convention Nationale et à la France entière nous soumettre à la République Française, une et indivisible ; que nous reconnaissons ses lois et que nous prenons l'engagement formel de n'y porter aucune atteinte. […] Nous promettons de remettre le plus tôt possible l'artillerie et les chevaux d'artillerie qui sont entre nos mains. Nous prenons l'engagement solennel de ne jamais porter les armes contre la République » 8
La signature de Charette équivaut non seulement à une reconnaissance entière et sans limites de la République, mais aussi à une soumission vis-à-vis du nouveau pouvoir.
Avec la conclusion de ces accords, les Bleus prennent un ascendant politique et moral sur leurs adversaires qui, enfin, se réconcilient ouvertement avec la République.
La suite tient en quelques mots…
Le petit prisonnier du Temple est l'enjeu de tous les pouvoirs.
Sitôt après avoir signé, Charette éprouva quelques remords, facilement compréhensibles : le jeu proposé en valait-il la chandelle ? À supposer que les républicains aillent au bout de leur parole donnée, n'y a-t-il pas là quand même plus d'inconvénients que d'avantages ?
Le temps apporterait des réponses, plus ou moins claires. En attendant, il était impossible de revenir en arrière.
Les semaines passant, les promesses républicaines contenues et signées dans le Traité de la Jaunaye ne furent pas honorées : la solde des gardes territoriaux de Vendée ne fut point payée par le Trésor Public, ainsi qu'il en avait été explicitement convenu. Tout comme les sommes allouées à la reconstruction du pays dévasté. Promesses signées, mais promesses envolées.
Charette redoutait de plus en plus que la teneur des échanges secrets connût le même déroulement. Il appréhendait que le pire pût arriver, et c'eût été alors un échec cuisant sur toute la ligne.
Le printemps 1795 touchait à sa fin, et il n'avait toujours aucune trace, ni aucune nouvelle sur la libération du dauphin. Sa venue en Vendée restait plus que jamais hypothétique. Malgré tout, Charette voulait encore y croire. Jusqu'au bout.
Il se promit que si le 19 juin, l'enfant du Temple ne lui était pas remis, il ne tiendrait pas plus parole que les républicains, et reprendrait alors les armes pour continuer le combat. Un cas de figure qu'il ne préférait pas envisager.
Entre espoir et résignation, ce fut dans cet état d'esprit qu’à Belleville, le jour du 19 juin, il vit se présenter à lui un détachement républicain de trois cents hommes, porteur d'une lettre à l'attention du général vendéen.
C'est le coup de tonnerre. Cette lettre lui annonce officiellement la mort de Louis XVII, survenue le 8 juin au matin dans sa prison du temple.
Charette s'effondre en larmes. Il enrage. La République l'a trahi. Le Traité de la Jaunaye est une mascarade. Une incroyable supercherie. Illusion douloureuse, plaisanterie monumentale.
La mort dans l'âme, Charette et les soldats vendéens reprennent les armes pour ne plus jamais les lâcher. La guerre de Vendée continue. Ils ne cesseront le combat qu'une fois morts, ou victorieux. Le Traité de la Jaunaye, à défaut d'avoir su conduire à une paix durable, a simplement donné lieu à une trêve temporaire, provisoire.
Le temps apporterait des réponses, plus ou moins claires. En attendant, il était impossible de revenir en arrière.
Les semaines passant, les promesses républicaines contenues et signées dans le Traité de la Jaunaye ne furent pas honorées : la solde des gardes territoriaux de Vendée ne fut point payée par le Trésor Public, ainsi qu'il en avait été explicitement convenu. Tout comme les sommes allouées à la reconstruction du pays dévasté. Promesses signées, mais promesses envolées.
Charette redoutait de plus en plus que la teneur des échanges secrets connût le même déroulement. Il appréhendait que le pire pût arriver, et c'eût été alors un échec cuisant sur toute la ligne.
Le printemps 1795 touchait à sa fin, et il n'avait toujours aucune trace, ni aucune nouvelle sur la libération du dauphin. Sa venue en Vendée restait plus que jamais hypothétique. Malgré tout, Charette voulait encore y croire. Jusqu'au bout.
Il se promit que si le 19 juin, l'enfant du Temple ne lui était pas remis, il ne tiendrait pas plus parole que les républicains, et reprendrait alors les armes pour continuer le combat. Un cas de figure qu'il ne préférait pas envisager.
Entre espoir et résignation, ce fut dans cet état d'esprit qu’à Belleville, le jour du 19 juin, il vit se présenter à lui un détachement républicain de trois cents hommes, porteur d'une lettre à l'attention du général vendéen.
C'est le coup de tonnerre. Cette lettre lui annonce officiellement la mort de Louis XVII, survenue le 8 juin au matin dans sa prison du temple.
Charette s'effondre en larmes. Il enrage. La République l'a trahi. Le Traité de la Jaunaye est une mascarade. Une incroyable supercherie. Illusion douloureuse, plaisanterie monumentale.
La mort dans l'âme, Charette et les soldats vendéens reprennent les armes pour ne plus jamais les lâcher. La guerre de Vendée continue. Ils ne cesseront le combat qu'une fois morts, ou victorieux. Le Traité de la Jaunaye, à défaut d'avoir su conduire à une paix durable, a simplement donné lieu à une trêve temporaire, provisoire.
VI) Louis XVII, monnaie d'échange ?
Avec la nouvelle de la mort du jeune dauphin, Charette réalise que les Conventionnels se sont joués de lui. Et ils l'ont d'ailleurs dupé sur toute la ligne, car l'idée de remettre en mains propres le jeune Roi à leurs plus grands ennemis a-t-elle déjà traversé l'esprit des Républicains ? Pas si sûr.
En effet, depuis qu'il était retenu prisonnier dans la prison du Temple, l'état de santé de Louis XVII se dégradait continuellement. Malade, ses geôliers s'étaient acharnés à le maltraiter, à l'abrutir, dans le seul but de dénaturer ce qu'il était, c'est-à-dire un dernier reste d'une royauté détestée.
D’autre part, même affaibli et dans le dénuement le plus total, le fait de remettre ce jeune Roi aux mains des Vendéens était une grande prise de risques pour les républicains. Symboliquement, une telle démarche était inconcevable : la République ne saurait se rabaisser à faire une chose pareille.
*
Faut-il donc porter crédit à ces soi-disant négociations mystérieuses conclues entre Charette et la République, ou n'est-ce là qu'un pur mensonge, inventé de toutes pièces ?
Là où s'arrête la légende commence le travail des historiens. Et même de nos jours, par la force des choses, l'énigme ne peut être totalement résolue ni complètement éclaircie.
Pourtant, tout porte à croire que ces négociations secrètes ont bel et bien eu lieu.
Car dans le cas contraire, comment se fait-il que tous les témoignages d'époque relatent que, sitôt après avoir signé le traité et regagné Belleville, Charette a réquisitionné une maison du bourg pour y aménager ce qu'il a lui-même appelé « le palais royal » ? Plusieurs personnes proches de l'entourage du général se sont même consacrées, plusieurs jours durant, à embellir cet endroit destiné à accueillir le futur roi.
Mais surtout, comment expliquer cette lettre, datée de la mi-juin 1795, émanant du Comité de Salut Public, et signée de surcroît par ses membres les plus influents9 ? Adressée au représentant breton Guesno, à Rennes, elle transmet les consignes provenant directement de l'organe exécutif de la Convention Nationale.
« Cher collègue,
Il est impossible que la République puisse se maintenir si la Vendée10 n'est pas entièrement réduite sous le joug. Nous ne pourrons croire à notre sûreté que lorsque les brigands qui infestent l'ouest depuis deux années auront été mis dans l'impossibilité de nous nuire et de contrarier nos projets ; c'est-à-dire lorsqu'ils auront été exterminés. C'est déjà un sacrifice trop honteux d'avoir été réduits à traiter de la paix avec les rebelles, ou plutôt des scélérats dont la très grande majorité a mérité l'échafaud. Ils n'ont pas mis plus de bonne foi que nous dans le Traité, et il ne doit leur inspirer aucune confiance dans les promesses du gouvernement. Le moment approche où, d'après l'article II du Traité secret, il faut leur présenter ce bambin pour lequel ils se battent. Il serait trop dangereux de faire un tel pas ; il nous perdrait sans retour. Les Comités n'ont trouvé qu'un moyen d'éviter cette difficulté vraiment extrême, le voici : la principale force des brigands est dans le fanatisme que leurs chefs leur inspirent. Il faut les arrêter et dissoudre d'un coup cette association monarchique qui nous perdra si nous ne nous hâtons pas de la prévenir. Il faut tout sacrifier pour mettre l'opinion de notre côté » 11
En effet, depuis qu'il était retenu prisonnier dans la prison du Temple, l'état de santé de Louis XVII se dégradait continuellement. Malade, ses geôliers s'étaient acharnés à le maltraiter, à l'abrutir, dans le seul but de dénaturer ce qu'il était, c'est-à-dire un dernier reste d'une royauté détestée.
D’autre part, même affaibli et dans le dénuement le plus total, le fait de remettre ce jeune Roi aux mains des Vendéens était une grande prise de risques pour les républicains. Symboliquement, une telle démarche était inconcevable : la République ne saurait se rabaisser à faire une chose pareille.
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Faut-il donc porter crédit à ces soi-disant négociations mystérieuses conclues entre Charette et la République, ou n'est-ce là qu'un pur mensonge, inventé de toutes pièces ?
Là où s'arrête la légende commence le travail des historiens. Et même de nos jours, par la force des choses, l'énigme ne peut être totalement résolue ni complètement éclaircie.
Pourtant, tout porte à croire que ces négociations secrètes ont bel et bien eu lieu.
Car dans le cas contraire, comment se fait-il que tous les témoignages d'époque relatent que, sitôt après avoir signé le traité et regagné Belleville, Charette a réquisitionné une maison du bourg pour y aménager ce qu'il a lui-même appelé « le palais royal » ? Plusieurs personnes proches de l'entourage du général se sont même consacrées, plusieurs jours durant, à embellir cet endroit destiné à accueillir le futur roi.
Mais surtout, comment expliquer cette lettre, datée de la mi-juin 1795, émanant du Comité de Salut Public, et signée de surcroît par ses membres les plus influents9 ? Adressée au représentant breton Guesno, à Rennes, elle transmet les consignes provenant directement de l'organe exécutif de la Convention Nationale.
« Cher collègue,
Il est impossible que la République puisse se maintenir si la Vendée10 n'est pas entièrement réduite sous le joug. Nous ne pourrons croire à notre sûreté que lorsque les brigands qui infestent l'ouest depuis deux années auront été mis dans l'impossibilité de nous nuire et de contrarier nos projets ; c'est-à-dire lorsqu'ils auront été exterminés. C'est déjà un sacrifice trop honteux d'avoir été réduits à traiter de la paix avec les rebelles, ou plutôt des scélérats dont la très grande majorité a mérité l'échafaud. Ils n'ont pas mis plus de bonne foi que nous dans le Traité, et il ne doit leur inspirer aucune confiance dans les promesses du gouvernement. Le moment approche où, d'après l'article II du Traité secret, il faut leur présenter ce bambin pour lequel ils se battent. Il serait trop dangereux de faire un tel pas ; il nous perdrait sans retour. Les Comités n'ont trouvé qu'un moyen d'éviter cette difficulté vraiment extrême, le voici : la principale force des brigands est dans le fanatisme que leurs chefs leur inspirent. Il faut les arrêter et dissoudre d'un coup cette association monarchique qui nous perdra si nous ne nous hâtons pas de la prévenir. Il faut tout sacrifier pour mettre l'opinion de notre côté » 11
VII) Conclusion
Les armes ressortiront jusqu'en 1832.
Charette n'a jamais été un bon politicien. Pour preuve, la seule fois où il s'est frotté réellement au jeu dangereux de la politique, il s'est brûlé les ailes. Après avoir été dans sa jeunesse un marin hors pair, qui a associé à tout jamais son patronyme aux plus grandes dates de l'histoire navale française, la guerre de Vendée l'a fait devenir le chef vendéen emblématique que l'on connaît. Homme de panache, fin stratège et combattant admirable, il a toujours fait preuve d'une ténacité exemplaire.
Il n'a jamais été un bon politicien. Certes. Là a été d'ailleurs son point faible et la faille que les conventionnels ont su exploiter avec brio.
Mais cependant, il n'était pas idiot : dans ce jeu de dupes savamment orchestré dès l'annonce de la tenue des conférences de la Jaunaye, les représentants de la République ont pris toutes les précautions nécessaires pour réussir à se jouer de lui. Entourant à dessein leurs promesses de mystères, de non-dits, et en entretenant l'espoir, tout portait Charette à croire ses interlocuteurs comme étant de bonne volonté. La gravité des enjeux ne pouvait laisser présager, d'un côté comme de l'autre, un manque de sincérité. Le scénario échafaudé par les conventionnels était excellent, car vraisemblable. Charette et la Vendée l'ont appris à leurs dépens.
Le Traité de la Jaunaye, entre fourberies et faux-semblants, nous offre donc l'exemple d'une supercherie majestueuse, où ceux qui croyaient prendre se sont retrouvés pris, avec une tromperie qui se retrouve à tous les niveaux. Il paraît qu'en temps de guerre (et de guerre civile qui plus est), la fin justifie les moyens. Admettons. Mais dans notre cas, la seule différence tient sans doute dans l'honneur que l'on confère ou non à la parole donnée.
Il n'a jamais été un bon politicien. Certes. Là a été d'ailleurs son point faible et la faille que les conventionnels ont su exploiter avec brio.
Mais cependant, il n'était pas idiot : dans ce jeu de dupes savamment orchestré dès l'annonce de la tenue des conférences de la Jaunaye, les représentants de la République ont pris toutes les précautions nécessaires pour réussir à se jouer de lui. Entourant à dessein leurs promesses de mystères, de non-dits, et en entretenant l'espoir, tout portait Charette à croire ses interlocuteurs comme étant de bonne volonté. La gravité des enjeux ne pouvait laisser présager, d'un côté comme de l'autre, un manque de sincérité. Le scénario échafaudé par les conventionnels était excellent, car vraisemblable. Charette et la Vendée l'ont appris à leurs dépens.
Le Traité de la Jaunaye, entre fourberies et faux-semblants, nous offre donc l'exemple d'une supercherie majestueuse, où ceux qui croyaient prendre se sont retrouvés pris, avec une tromperie qui se retrouve à tous les niveaux. Il paraît qu'en temps de guerre (et de guerre civile qui plus est), la fin justifie les moyens. Admettons. Mais dans notre cas, la seule différence tient sans doute dans l'honneur que l'on confère ou non à la parole donnée.
notes :
1) Allocution de Bertrand Barrère (1755-1841) devant la Convention Nationale – 1er Ocobre 1793. Source : « Le Moniteur Universel »
2) Rapport de Francastel. Décembre 1793-Janvier 1794.
3) Les débats de la Convention Nationale, retranscris au Journal Officiel entre le 2 et le 15 Octobre 1793, confirment cette logique révolutionnaire selon laquelle le simple fait d'être vendéen suffit à faire d'un individu un coupable.
4) Source : « Le Journal des Jacobins » - Août-Septembre-Décembre 1793.
5) A cette période, Stofflet est général en chef de l'Armée Catholique et Royale, suite à la mort d'Henri de La Rochejaquelein. Malgré la présence de Mr. de Fleuriot, les Angevins ne sont pas présents.
6) Loire-Atlantique actuelle
7) Archives (documents et témoignages d'époque), biographies, Mémoires...
8) Extrait du Traité de la Jaunaye – 17 Février 1795
9) Tallien, Cambacérès, Sieyès...
10) La Vendée, désignée ici au sens générique du terme, renvoie à la Vendée Militaire, c'est-à-dire au territoire insurgé mesurant une superficie d'environ 10 000 kilomètres carré, et qui s'étend sur quatre départements de l'Ouest de la France : sud Loire-Atlantique actuelle, et du Maine & Loire, nord de la Vendée et des Deux-Sèvres.
11) Source : « Réponse des armées catholique-royale, de la Vendée et des chouans, au rapport fait à la soi-disant convention nationale, dans la séance du 16 juin 1795, par le soi-disant représentant du peuple le citoyen Doulcet ; suivie de la proclamation faite par le chef des armées catholiques et royales, au nom de Louis XVIII... aux fidèles habitants du Poitou, de l'Anjou... et de toutes les provinces de France » - Imprimerie royale de Maulévrier, 23 juin 1795, de l'an Ier du règne de Louis XVIII.
2) Rapport de Francastel. Décembre 1793-Janvier 1794.
3) Les débats de la Convention Nationale, retranscris au Journal Officiel entre le 2 et le 15 Octobre 1793, confirment cette logique révolutionnaire selon laquelle le simple fait d'être vendéen suffit à faire d'un individu un coupable.
4) Source : « Le Journal des Jacobins » - Août-Septembre-Décembre 1793.
5) A cette période, Stofflet est général en chef de l'Armée Catholique et Royale, suite à la mort d'Henri de La Rochejaquelein. Malgré la présence de Mr. de Fleuriot, les Angevins ne sont pas présents.
6) Loire-Atlantique actuelle
7) Archives (documents et témoignages d'époque), biographies, Mémoires...
8) Extrait du Traité de la Jaunaye – 17 Février 1795
9) Tallien, Cambacérès, Sieyès...
10) La Vendée, désignée ici au sens générique du terme, renvoie à la Vendée Militaire, c'est-à-dire au territoire insurgé mesurant une superficie d'environ 10 000 kilomètres carré, et qui s'étend sur quatre départements de l'Ouest de la France : sud Loire-Atlantique actuelle, et du Maine & Loire, nord de la Vendée et des Deux-Sèvres.
11) Source : « Réponse des armées catholique-royale, de la Vendée et des chouans, au rapport fait à la soi-disant convention nationale, dans la séance du 16 juin 1795, par le soi-disant représentant du peuple le citoyen Doulcet ; suivie de la proclamation faite par le chef des armées catholiques et royales, au nom de Louis XVIII... aux fidèles habitants du Poitou, de l'Anjou... et de toutes les provinces de France » - Imprimerie royale de Maulévrier, 23 juin 1795, de l'an Ier du règne de Louis XVIII.