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« On ne vit que deux fois » : la figure du héros dans Le roman de Charette " (2/2) par Amaury Guitard

Après nous être penchés sur « la première vie » de François-Athanase Charette de la Contrie, des années au cours desquelles il a sillonné toutes les mers du globe, nous allons à présent nous intéresser à la seconde partie de cette existence haute-en-couleurs, et plus précisément à l'épopée vendéenne de ce grand héros français. Une vie terrestre, vendéenne, doublée d'un sens aigu de l'honneur et du sacrifice.


« On ne vit que deux fois » : la figure du héros dans Le roman de Charette " (2/2) par Amaury Guitard
Philippe de Villiers s'est une fois encore montré remarquable dans sa manière d'aborder les choses, en présentant les évènements de l'intérieur, comme si le lecteur était immergé dans l'intériorité et la psychologie du personnage.
Illustrés par des extraits d'archives, les faits historiques de la guerre de Vendée se mêlent à l'intimité la plus profonde, et ce va-et-vient permanent dans l'oeuvre renforce l'impact sur le lecteur. A la manière d'un chef d'orchestre, l'auteur compose sa partition en s'aidant d'une infinité de registres, comme pour maintenir en haleine un lecteur déjà happé par la force des descriptions.
Depuis le soulèvement vendéen de Mars 1793 jusqu'à l'éxécution de Charette à Nantes place des Agriculteurs (actuellement Place Viarmes) trois ans plus tard, Ph.de Villiers brosse un portrait étonnant de celui qui, dès son ralliement à l'insurrection, restera fidèle au serment qu'il a lui-même prononcé en quittant son logis de Fonteclause : « Je ne reviendrai ici que mort ou victorieux ». Au fil des pages, d'autres devisent parsèment le récit, comme celle inscrite sur l'épée du général : « Je ne cède jamais »...
Examinons sans plus attendre l'épopée héroïque de celui qui se plaisait à décréter : « Mon âme est à Dieu, ma vie est au roi, mon cœur est aux dames, seul mon honneur est à moi »...

Un héros pêcheur à la bouteille

Fin stratège et tacticien accompli, Charette observe cette guerre de Vendée atypique du haut de ses expériences passées... Parcequ'elles l'ont marquées, Charette saura s'en inspirer une fois le moment venu. Il se souvient notamment des éternels débats à Brest entre les stratégies de Guichen et Suffren. Conscient des points faibles de son armée (indiscipline, intermittence des combattants et armement précaire (« on ne se bat pas contre des canons avec des bâtons »)), Charette saura faire de ces faiblesses une force en préconisant ce qu'il appelle « la pêche à la bouteille »... Autrement dit, il faut rompre la ligne, imposer aux Bleus la non-bataille, et forcer les troupes républicaines à délaisser le confort des routes et des endroits dégagés pour qu'elles s'aventurent dans les chemins creux d'un bocage auquel les combattants royalistes, natifs du pays, sont familiarisés. Car dans un tel environnement (qui peut s'avérer hostile à l'étranger), l'artillerie, la cavalerie et l'infanterie ne peuvent être utilisées dans des conditions optimales : les essieux des batteries républicaines sont par exemple souvent beaucoup plus larges que les étroits chemins qu'elles doivent emprunter...
En imposant alors cette tactique sur son propre terrain, Charette retourne donc la situation, et augmente ainsi les chances de succès.

Le héros de ces dames...

« On ne vit que deux fois » : la figure du héros dans Le roman de Charette " (2/2) par Amaury Guitard
Au fur et à mesure que les pages défilent, apparaissent bien sûr toute une pléïade de personnages féminins qui forment l'entourage rapproché de Charette. Il y a bien sûr les fameuses Amazones, qui accompagnaient le général jusqu'au cœur des combats (et dont la bravoure et l'intrépidité n'avaient absolument rien à envier à celle des hommes), mais aussi les espionnes, les hôtesses, religieuses... qui à un moment donné ont croisé la route du général.

Dans le récit, il y a une réelle mise en scène de cette « sphère féminine » qui gravite autour de Charette. Chaque héroïne est présentée de manière singulière, entre charme, défiance, et attirance pour certaines. Nous retrouvons des noms illustres : Céleste de Bulkeley, l'irlandaise accompagnée de son mari William ; Marie Lourdais (l'espionne béquillarde que Charette a fini par appeler « Ma Bretonne ») ; les sœurs Couëtus, dont l'une d'elles, Sophie, porte constamment onze pistolets chargés à la ceinture parcequ'elle ne sait en charger aucun ; Marie-Adélaïde de La Rochefoucauld, la voisine de Charette à Fonteclause, cette « belle échassière des îles » dont Charette doit reconnaître que ses atours la rendent « terriblement inflammable »...
Voici quelques exemples non exhaustifs de ces personnages féminins qui, toujours avec raffinement, renvoient une certaine élégance, même au plus fort de la guerre.
Fidèles jusqu'au bout, certaines d'entre elles accompagneront Charette jusque dans les derniers moments de sa fabuleuse épopée.

Un héros solitaire et singulier

Charette ne cesse de se distinguer par son intrépidité, son tempérament, qui font de lui un héros singulier et solitaire, sous bien des aspects, vis-à vis des autres chefs de la Vendée Militaire notamment.
En effet, les relations qu'entretient Charette avec les poitevins et les angevins de la Grande Armée relève plus du « je t'aime moi non-plus » que de l'entente parfaite. Entre gens de bonne intelligence, et par souci d'unité dans la Cause à défendre, chaque parti est malgré tout obligé, à un moment ou un autre, d'y mettre du sien, par-delà les tensions existantes et parfois virulentes... Il suffit de lire le récit de la bataille avortée à Nantes le 29 Juin, ou Charette s'est soudainement retrouvé esseulé après la blessure mortelle de Jacques Cathelineau, le généralissime ; ou bien encore le conseil des chefs qui précède la bataille de Luçon le 14 Août ou chacun se jauge, entre méfiance, défiance et bravades. Le portrait au vitriol que dresse Charette de tous les chefs réunis ce jour-là est d'ailleurs un des « climaxes » du récit. Le lecteur découvre, à travers les yeux du général, les plus grands chefs royalistes : « Mistoufflet. C'est le garde-chasse de Maulévrier, Stofflet ; il suinte et sent le gibier » ; « Royrand, le Manchot cinglant » ; Talmont, « ...esprit lent – qui galope dans tous les sens, le nez en guibre à piquer les bigorneaux, l'intelligence descendue dans les reins »...

Tout au long du livre, la singularité de Charette se reflète aussi dans son style vestimentaire, dans les tenues exubérantes qu'il arbore : boucle de corail à l'oreille, cravate blanche, foulard des Indes noué autour du cou, redingote... sans oublier bien sûr l'éternel chapeau surmonté d'un panache de plumes blanches à la Henri IV. Charette gardera toujours ce bouquet de plumes accroché à son chapeau, mais qui le faisait pourtant devenir une cible facilement repérable. Jamais il n'abandonnera ce signe distinctif... Souvenir de sa première vie dans la Marine, le général vendéen, capturé, n'oubliera pas de préciser aux Bleus que l' « on abdique pas l'honneur d'être une cible ».

« On ne vit que deux fois » : la figure du héros dans Le roman de Charette " (2/2) par Amaury Guitard
Jusqu'au moment de sa mort, à la fin du mois de Mars 1793, Charette conservera ce panache qui a fait de lui un héros, dont la légende ne faisait que commencer. Héros à multiples figures, que nous avons brièvement évoquées dans cette étude au travers de quelques aspects loin d'être exhaustifs...
La figure du héros dans ce brillant Roman de Charette est polyfacétique. Elle est aussi universelle, puisque toute sa vie durant, Charette a toujours combattu pour LES libertés, aux quatre coins du monde. Elles résonnent, dans ce livre, comme un leitmotiv qui donne tout son charme au récit de la vie de Charette, formidablement retracée sous la plume de Ph.de Villiers.
La Vendée et la France peuvent s'enorgueillir d'avoir, au sein de leurs histoires respectives, un héros d'une telle envergure.
Sur la Place des Agriculteurs, nichée au cœur de la cité nantaise, Charette, au crépuscule de sa vie, restera digne jusqu'au bout : refusant d'avoir les yeux bandés, il commande lui-même le tir du peloton d'éxécution. L'héroïsme, mêlé à la tragédie, arrive à son paroxysme. « Entre tes mains, Seigneur, je remets mon esprit. François-Athanase Charette de la Contrie, fusillé le 29 Mars 1796. »

n.b. Toutes les citations qui illustrent cette étude sont extraites du livre de Philippe de Villiers, Le roman de Charette, éditions Albin Michel, 2012.

Amaury Guitard

Jeudi 11 Avril 2013
A.M.
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